On l'aime tous

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Ashley regardait le Maître avec un pincement au cœur. Il avait l'air si tourmenté en lui racontant son histoire... elle devait avouer que quelques larmes avaient coulé.

- Ash, es-tu au courant que c'est une émotion qui permet l'Éveil? demanda-t-il.

- Non, on ne me l'avait pas dit.

- La plupart des mages découvrent leur magie en situation de stress immense. Ils doivent se protéger à tout prix et écoutent leur instinct de survie. Cet instinct active le gène magique qu'il y a en nous. C'est la peur, le déclencheur. Il y a aussi une colère intense comme ça a été le cas pour Kaola par exemple. Son ex petit-ami a vraiment pris cher, veut-il plaisanter. Toutes les émotions sont bonnes, certaines sont plus rares comme déclencheur. Pour moi, c'était la culpabilité. Tu te souviens de la manière dont tu as découvert les tiens?

Ashley prit le temps de réfléchir. Oui, elle s'en souvenait parfaitement, comment oublier le jour où elle avait découvert son secret?

- Ce jour-là, j'étais énervée. À cause de ma mère qui ne voulait pas divorcer alors que je savais qu'elle n'aimait plus David depuis longtemps. J'étais tellement énervée qu' il m'était impossible de parler. Je n'ai été dans cet état qu'une fois.

Elle ferma les yeux.

- Du coup pour me calmer, j'étais sortie dehors. Il faisait froid mais il n'y avait pas encore de neige et j'avais pas mal de couches sur moi. Je me suis dirigée vers la forêt pour marcher et me défouler. J'ai erré pendant trente minutes environ avant de tomber sur un endroit que je n'avais jamais vu.

En se remémorant le paysage, elle sourit.

- Il y avait des ifs partout. Et un lac gelé en plein milieu. Comme je le raconte, ça n'a l'air de rien, mais c'était vraiment incroyable. Je me suis assise au bord du lac, en tailleur, complètement ébahie par l'endroit. Et là, d'un coup, toute ma colère s'est évaporée.

Elle marqua un temps.

- Je n'ai jamais su pourquoi d'ailleurs. Je ne sais pas comment je suis passée d'une fureur indescriptible à un apaisement absolu. Toujours est-il que j'ai senti un grand calme en moi, à tel point que je me suis couchée dans l'herbe givrée. Je me souviens, je souriais sans savoir pourquoi. C'était incroyable comme sensation. C'est la seule fois de ma vie où je me suis sentie si bien. J'ai fermé les yeux pour savourer les bruits de la nature, mes muscles se sont détendus. Un peu comme... un peu comme quand Lyla utilise son don de transmission d'émotions pour nous calmer.

- Oui je vois.

- Et...j'ai du rester... je ne sais pas, quinze, vingt minutes? Je ne sais plus trop. Quand j'ai ouvert les yeux, j'étais comme grisée, sans savoir pourquoi encore. Et je me suis assise. Et j'ai vu des fleurs. Partout. Même, les arbres autour de moi retrouvaient de nouvelles feuilles, à une vitesse fulgurante! C'était absolument impossible en janvier! Quand j'ai vu mes mains, elles étaient en train de briller d'une lueur verte. 

Elle rouvrit les paupières et regarda Ethan.

- Alors... je pense que c'est le calme qui m'a Éveillée.

Le Maître se gratta l'arrière de la tête, pensif.

- C'est assez rare comme façon de s'Éveiller. Ah ben tiens: encore un point commun que tu as avec ma femme! lui sourit-il. C'était la même chose pour elle.

C'est dingue qu'elles aient même cela en commun! Enfin bon, ça ne la choquait plus maintenant. Elle s'était même demandé si Isabella n'avait pas été sa vie antérieure avant de se dire que toute façon, elle était morte quand elle avait eu environ quinze ou seize ans.

- Il y a autre chose dont tu veuilles me parler?

Intriguée, elle fronça les sourcils. 

- Non pourquoi?

- Non pour savoir.

Mouais. Quand on sortait cette phrase, généralement, on avait un truc en tête. Mais elle ne préféra pas insister. Elle n'avait qu'un envie, c'était de se mettre au calme avec la toile qu'elle avait presque finie.

Le Maître la serra une dernière fois dans ses bras et lui ébouriffa les cheveux avant de sortir de la chambre et refermer la porte, la laissant seule.

- Eh Ash, souffla Alvin qui se posa sur sa tête, tu trouves pas que le Maître est hyper paternel malgré le fait qu'il n'ait pas eu de père et aucun amour de sa mère?

- Tant mieux, répondit sa sœur d'âme, il a du être si traumatisé qu'il ne veut pas reproduire le même schéma.

- Moi, je l'adore.

- On l'aime tous.

Elle se leva, prit sa palette, ses pinceaux, son verre et sortit de sa chambre pour se diriger dans la bibliothèque. C'était là qu'elle peignait, souvent avec les Jumelles et d'autres artistes en herbe avec qui elle s'entendait très bien. D'ailleurs elle pouvait voir Emiko, une jolie Japonaise extrêmement douée qui était en train de commencer une nouvelle toile.

- Salut Ash, murmura-t-elle en lui souriant. Tout roule ?

- Parfait, mentit-elle en jetant un coup d'oeil sur ce qu'elle esquissait. Tu fais quoi cette fois ?

- J'essaie de repeindre un fabuleux paysage que j'ai vu en rêve. Avant que je ne l'oublie. Il était fantastique.

- Je veux bien te croire. Tu t'en souviens parfaitement ?

- Ça va pour l'instant. Mais je m'active, je m'active...

Ashley sourit. Elle se dirigea vers sa propre peinture et souleva le tissu qu'elle avait mis dessus pour empêcher la poussière de venir dessus.

- Et toi?

- Viens voir elle est presque finie.

Emiko lâcha son crayon et la rejoignit.  Elle eut le souffle coupé en la voyant.

- C n'est splendide ! s'exclama-t-elle un peu trop fort.

Elle s'en rendit compte et adressa des sourires gênés aux lecteurs qui la fusillaient du regard.

- Tu peinds depuis quand ? chuchota la Japonaise.

- Depuis que j'ai six ans.

Le tableau représentait une femme brune assise, de profil. Elle était vêtue d'une robe blanche et jouait de la harpe. Un petit sourire sur les lèvres, elle avait l'air posé. Elle semblait sereine.

- C'est toi?

- Non, c'est ma mère.

Première fois qu'Ashley voulait bien parler de sa famille. Elle souriait en regardant son oeuvre et attrapa un pinceau fin qu'elle trempa légèrement dans de la peinture noire.

- Quand j'étais petite, ma mère jouait souvent de la harpe. Au début, je disais que c'était trop doux, ça ne bougeait pas assez, je préférais le rock. Ouais je sais, être fana de Metallica à cinq ans, c'est un truc de ouf, rit -elle. "Mais si, tu vas peut être aimer !" Elle me disait ça souvent. Un jour, je voulais être tranquille et je lui ai dit de me jouer quelque chose. Elle a souri. Et j'ai été happée par la beauté de la mélodie. Si bien que je préférais la harpe à Metallica.

- Cwest incroyable que ta mère t'ait fait changer d'avis ! Comment elle a fait? Faut qu'elle me donne des cours pour que je te fasse enfin écouter Céline Dion !

- Alors là, rêve! Jamais je n'écouterai ce truc!

- Je vais te mettre de force un casque sur les oreilles.

- Tu sais où je vais te l'enfoncer, ton casque?

Elles tirent toutes les deux, essayant tant bien que mal de contenir leur rire. Quand la toile d'Ashley fut terminée, elle sourit en regardant sa mère.

"Maman. Je te promets que tu pourras me jouer une mélodie un jour. "

Aertherys - Tome 1: La SecteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant