H-11

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Le soleil s'était levé pour la dernière fois sur la surface de la Terre et Christopher Therazan s'arrêta pour graver cette image dans sa mémoire. Son dernier lever de soleil. A lui et à toute l'Humanité. C'était quelque chose qui se fêtait, non ? Il grimaça à cette pensée et s'assit sur le bord de la route, le soleil levant conférant une teinte orangée autour de lui.

Ses jambes lui faisaient mal et le soutenaient à peine, tandis que son dos se courbait sous le poids d'un sac qui renfermait tout ce qui avait été nécessaire à son odyssée des deux derniers mois. Il avait fait une longue marche depuis Saint-Louis mais il avait réussi.

Devant lui s'élevaient enfin les gratte-ciels de New York City, dont certains laissaient toujours échapper une fumée qui montait dans les airs en tourbillonnant. Christopher l'avait connue au temps des jours heureux; lui et sa femme avaient déambulé dans ses rues animées, traînant sur les docks, parlant pendant des heures, étendus sur l'herbe de Battery Park, sous les grands arbres dont les feuilles commençaient à tomber. Mais tout ceci était du passé depuis bien longtemps. De phare dans la nuit du monde, la ville était devenue aussi sombre que la mort, désertée par la sagesse, envahie par la folie des hommes. La fin du monde était la pire chose qui soit arrivée à la Big Apple.

Les conséquences de ce désastre imminent se ressentaient partout où il posait son regard. La route depuis Saint-Louis n'avait été qu'une succession de carcasses de véhicules brûlant dans le fossé, de corps sans vie qu'on n'avait pas eu le temps d'enterrer, sinistre routine de temps en temps brisée par des assauts de soulards qui n'avaient rien trouvé de mieux à faire en cette fin du monde que de chasser à coups de fusil les âmes errantes dont il faisait partie.

Non, cela n'avait pas été facile d'arriver jusque là et il lui restait encore pas mal de route à parcourir s'il voulait les retrouver à temps. Un coup d'œil à sa montre lui indiqua que l'Apocalypse était prévue pour dans un peu moins de onze heures. New York devait être maintenant aux mains des pillards, les riches bourgeois ayant fui ou s'étant enfermés dans leurs appartements des étages supérieurs.

Christopher réajusta la carabine de son oncle sur son épaule et se releva. Les semelles de ses chaussures étaient trouées et chaque pas faisait saigner ses pieds, usés par tant de jours passés sur la route. La douleur commençait à devenir difficilement supportable, mais il se sentait pousser des ailes au fur et à mesure que les immeubles new-yorkais grossissaient dans son champ de vision.

Il passa la main dans sa barbe rêche pour retirer la poussière qui s'était accumulée au fil des jours. En temps normal, jamais il ne se serait laisser pousser une telle barbe, mais comme il l'avait constaté : la fin du monde était une bonne occasion pour changer ses habitudes. Tout ceci n'aurait plus d'importance dans quelques heures de toute façon. Il espérait simplement qu'il arriverait à temps pour les retrouver.

**

Plus vite ! Plus vite !, pensa le Père McCullough en évitant de trébucher sur les gravats qui se mettaient en travers de son chemin, obstacles supplémentaires dans une vie qui n'en manquait déjà pas. Une barre de fer dépassant d'un bloc de béton le fit tomber, mais des mains agiles le relevèrent aussitôt.

- Merci Ted, souffla-t-il avant de reprendre sa course.

- Dépêchez-vous mon Père. Ils ne sont plus très loin derrière, lui intima le jeune homme qui ne devait pas avoir plus de 25 ans.

Le vieux prêtre le savait terrifié mais il n'en laissait rien paraître. Ses habits étaient encore propres, il esquivait les obstacles avec aisance, puis l'attendait pour voir s'il le suivait toujours et continuait ainsi de suite.

- Ted, arrête-toi ici s'il te plaît.

- Mais c'est dangereux. Allez, remettez-vous en route ! Ils ne sont plus très loin derrière.

- Écoute-moi Ted maintenant. Il nous faut nous séparer. Si nous restons ensemble, nous sommes morts.

- Je ne peux pas vous abandonner, mon Père, sanglota Ted.

- Et pourtant, il le faudra bien. Tu sais ce qui est en jeu et tu n'as pas besoin de moi pour remplir ton rôle. Tu as été préparé toute ta vie pour ce jour. Nous l'avons tous été. Maintenant, il faut qu'au moins l'un d'entre nous parvienne à l'Église sinon, nous sommes perdus.

- Mais... gémit Ted en frottant ses mains nerveusement sur son jean.

- Ne discute pas ! Va-t-en ! dit le Père McCullough d'une voix dure.

Ted s'éloigna alors de lui, en reculant, les yeux brillants puis disparut au détour d'un immeuble. McCullough reprit son souffle bruyamment, tendant l'oreille pour tenter de repérer ses poursuivants. Des murmures étouffés se faisaient entendre ici et là, jusqu'à ce qu'une voix plus forte résonna dans la rue emplie de décombres, son écho se réverbérant contre les parois intactes des bâtiments alentours.

- McCullough ! Je sais que vous êtes là, quelque part, terré comme un rat. Vous avez échoué, vous et vos protégés. Tout est fini, alors montrez-vous.

Le prêtre réfléchit, songeant à la meilleure façon de gagner du temps pour permettre à Ted d'avoir assez d'avance sur eux. Il décida de rester caché, même s'il les connaissait assez bien pour savoir qu'ils le retrouveraient bientôt. Sa jambe le faisait souffrir, il n'irait pas plus loin de toutes façons. Comment tout ceci avait-il pu se produire ? Toutes ces années de préparation pour ce résultat. Ils étaient presque tous morts, seuls lui, Ted et quelques autres avaient survécu, mais il ignorait où ils avaient trouvé refuge.

Le vieil homme regarda le ciel alors, le soleil s'était levé depuis presque une heure maintenant. Le dernier lever de soleil sur Terre. La Lune semblait bien petite à côté de la comète qui était apparue dans le ciel quelques jours auparavant et qui s'apprêtait à réduire la planète en un tas de cendres qui se disperserait dans toute la galaxie dans un peu plus de dix heures.

Le dernier jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant