12-Déprimé

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Yunii était effrayé. Il transpirait comme jamais auparavant, et il avait peur.

Trois jours. Cela faisait trois jours qu'il était prisonnier de cette cellule, Kristina à ses côtés pour lui faire endurer ses cauchemars. La jeune fille s'était montrée très douce avec lui, si on oubliait le fait qu'elle lui infligeait cette torture chaque jour. Il essayait de se remémorer des souvenirs heureux pour ne pas flancher. Kristina était son seul contact avec le monde réel, et il ne pouvait s'empêcher d'être attiré par elle, sans comprendre pourquoi. Pourtant, elle le faisait souffrir quotidiennement. Mais elle y était obligée, par sa soi-disant famille.

Bien sûr, cela n'effaçait pas sa douleur mais au moins il ne lui en voulait pas. Et quand elle venait le voir pour le nourrir, il essayait de ne pas lui parler méchamment. C'était une bien maigre consolation.

Petit à petit, il s'habituait au mauvais traitement dont il faisait l'objet. Bien sûr, ça le mettait toujours dans tous ses états mais il mettait moins longtemps à s'en remettre. Cette pensée faillit le faire pleurer.

Mais, alors qu'il se remettait d'un énième cauchemar, la vision qui apparut ensuite le pétrifia sur place.

Il était revenu sur les lieux de l'explosion. En face de lui, un champ de cadavres et de désolation. Des mains, des pieds, des habits, des choses qui furent autrefois des personnes dépassaient des décombres. Et puis, ses yeux s'arrêtèrent sur des vêtements noirs d'où dépassait une chevelure noire qu'il connaissait bien : Yana.

Il courut vers elle, paniqué, n'ayant pas réalisé que ce n'était pas réel. Il s'agenouilla à côté du cadavre de sa sœur. Ses yeux étaient fermés le plus possible, comme si elle avait vu l'explosion et voulu se protéger. Ses bras étaient dans des positions impossibles, et comme ses jambes, ils formaient un angle d'où dépassaient chair et os.

Yunii sentit les larmes dévaler ses joues, tandis qu'il caressait le visage au teint cireux de sa sœur. Il lui murmurait des paroles que lui seul comprenait tant les sanglots entravaient sa voix. Et soudain, alors qu'il avait fermé les yeux, il sentit un mouvement sous ses doigts. Regardant Yana, il vit qu'elle avait les yeux grands ouverts. Sa bouche se mit à former une grimace étrange, d'où sortirent des mots au début incompréhensibles : "...ii...t....pas...sau...fau...

« Quoi ? »

Paniqué, presque hystérique, Yunii tentait de déchiffrer les propos de sa jumelle revenante.

Elle reprit, plus audible :

« Yunii.

- Oui Yana ? Je suis là, avec toi.

- C'est ta faute. Tout est ta faute. »

Et elle referma les yeux, son corps s'éteignant pour la dernière fois.

Alors Yunii se mit à hurler de toutes ses forces, mêlant larmes et cris. Les gouttes d'eau qui dévalaient ses joues avaient un goût amer, celui du remords.

Enfin, il émergea. Il était toujours sur son lit de cellule, mais ses yeux étaient trempés tout comme ce qui lui servait de lit. Sa respiration était haletante. Il ferma les yeux et mit une bonne heure à se remettre de ses émotions. Elle avait dit quelque chose qui l'avait marqué : tout était de sa faute. Sans savoir pourquoi, il avait toutes sortes de pensées qui tentaient de remonter à la surface. Il ne savait pas si celles-ci étaient des rêves ou des choses réelles. C'était à s'en arracher les cheveux.

Comme tous les soirs, la porte s'ouvrit sans prévenir. Mais ce n'était pas la même personne que d'habitude qui entra : ce fut Valida.

En colère, Yunii s'apprêtait à lui sauter à la gorge quand elle leva le bras en face de sa tête. Aussitôt, il se sentit incapable de bouger, comme paralysé. Seuls ses yeux allaient de Valida à son corps, pleins d'incompréhension.

« Tu ne t'es jamais demandé quels étaient mes pouvoirs, Yunii ? »

Les yeux du garçon s'ouvrirent en grand, montrant sa peur, vite remplacée par la colère.

- Je suis une Mentaliste. Comme Kristina, comme toi. Mais moi, je peux paralyser les gens que je regarde dans les yeux. Et tu sais pourquoi ? »

Elle se pencha vers lui, les yeux emplis d'une lueur sournoise.

« Parce que je suis une Tueuse noire. »

Yunii écarquilla les yeux, terrorisé. Feba lui avait parlé de cette catégorie de personnes, capables de tuer d'un regard ou de pousser au suicide rien qu'en parlant. Des personnes génétiquement modifiées.

« Je sais à quoi tu penses, bien que je ne puisse pas lire dans les pensées mais ne t'en fais pas : je ne vais pas te tuer. Et même si je le voulais, je ne le ferais pas. Parce que tu es précieux pour nous, Yunii. Malgré ta naïveté d'enfant et ton désir de t'enfuir, tu restes important. Voilà la raison pour laquelle tu es en vie, tu es puissant. C'est très rare de trouver des seconds, de nos jours. Des personnes avec plusieurs pouvoirs. La plupart ont été tués dans des circonstances que tu connais déjà. »

Elle le libéra soudainement de son emprise, et il s'écroula au sol. Il ne sentait plus ses membres.

« Bon, tu as l'air calmé. Suis-moi. »

Et elle sortit de la cellule, laissant ouverte la porte que Yunii avait tant de fois rêvé de voir dans cette position. Mais, maintenant qu'elle l'était, il hésitait à sortir. Il avait toujours en tête son affreux cauchemar. Il ne savait pas ce qui l'attendait derrière la porte, et le stress le paralysait presque.

Estimant qu'il valait mieux entendre ce qu'elle avait à dire que de rester enfermé dans cette cellule d'horreur, il alla à sa suite. Dans le couloir, Kristina souriait. Elle doit être contente de me voir sortir, se dit Yunii.

Mais cette dernière lui saisit les deux bras, lui imprimant une torsion douloureuse, et les noua avec des menottes.

Son sourire disparut. Elle le poussa à avancer, imprimant par moments de légères torsions sur ses poignets. Yunii ne savait pas si c'était par méchanceté ou pour lui faire signe qu'elle était toujours là, et qu'elle regrettait de ne rien faire pour lui. Il espérait que c'était la deuxième option.

Anxieux, il entra dans une autre pièce après être repassé devant les cellules qui étaient maintenant pour la plupart vides. Il se demanda ce qui avait bien pu arriver à ceux qui étaient partis. Il valait mieux ne pas y penser, vu la façon dont sa famille adoptive l'avait traité lui.

Et puis, plus rien ne lui importait vraiment.

La sœur de son rêve avait raison : depuis l'asile, sa vie se dégradait de plus en plus. Et c'était entièrement sa faute.

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