26- Prisonnier

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Yunii avait peur. Il faisait sombre, ça sentait l'humidité, et des grattements de rats se faisaient entendre par moments. Deux hommes l'avaient pris de force et expédiés dans une cave sans lumière, depuis quelques heures déjà.

Il ne savait pas où était la porte et il avait perdu toute notion du temps. Il avait tenté de marcher au départ, mais le plafond était trop bas : il pouvait à peine s'asseoir. Il restait donc assis sur le sol boueux qui sentait la terre.

Au début, il voulait faire le tour des murs pour trouver la sortie mais la morsure d'un des nombreux rongeurs de la pièce l'avait découragé. Alors il restait assis, attentif aux bruits, son cerveau cogitant à toute allure. Au-dessus de lui des pas se faisaient parfois entendre, puis quelques voix graves retentissaient. Mais jamais on ne venait lui ouvrir.

Des gouttes d'eau tombaient du plafond, s'écrasant sur ses joues. Il avait l'impression de pleurer, et il aurait bien voulu que ce soit le cas mais les larmes restaient bloquées dans ses yeux. Trop de peur, trop d'angoisse. Alors il chantonnait, il chantonnait des chansons de son enfance. Il revoyait Yana qui lui tenait compagnie alors que leurs parents étaient partis tard le soir. Elle s'asseyait au coin du lit, et chantait tout en lui ébouriffant les cheveux des comptines russes. Anna Karénine était son conte préféré, et elle avait une manière de le raconter qui le plongeait dans l'histoire comme s'il y était.

Rien qu'à l'évocation de ce conte qui l'avait bercé durant toute son enfance, Yunii se mit enfin à pleurer. Il réalisa avec tristesse que ça aurait dû être sa mère qui lui contait ces histoires, mais qu'au lieu de ça ce rôle était revenu à sa jumelle. Yana avait toujours été sa grande sœur, même s'ils étaient jumeaux. C'est elle qui l'avait protégé, aidé et soutenu. Mais il se rendait compte aujourd'hui qu'elle n'avait jamais été une enfant. Trop de choses reposaient sur ses épaules, et cela lui avait gâché la vie.

Il ne comprenait jamais quand il était enfant pourquoi sa sœur affichait souvent un air grave, soucieux. Il savait à cet instant qu'elle avait toujours tout compris avant lui, lui épargnant des souffrances qu'elle jugeait trop dures. Il avait toujours été naïf tandis qu'elle était réaliste.

Soudain, le poids du dossier volé lui rappela qu'il l'avait en sa possession. Il chercha aussitôt un interrupteur sur les murs, pour pouvoir lire le contenu.

Quand sa main rencontra un énième rat, il hoqueta de dégoût mais n'arrêta pas sa quête. Au bout d'un long mur, il finit par trouver un levier, qu'il releva vers le haut.

Un bruit de machine se fit entendre, et une petite ampoule s'éclaira faiblement. Ce n'était pas grand-chose, mais il était heureux de sa découverte. Et surtout, heureux de l'avoir fait seul.

Il prit alors le dossier, et l'ouvrit juste en dessous de l'ampoule. Le nom de sa sœur était imprimé en caractères gras sur la plupart des pages.

Ses mains tremblaient, alors il prit une grande inspiration et commença sa lecture.

Yana Zykov

Née le 16 mai 1989, 14 ans à l'époque des faits concernant ses parents, internée durant deux ans dans un asile psychiatrique.

Sœur jumelle de Yunii Zykov. Fille d'Adam et Zoya Zykov, élémentaires eau et terre.

Yana habite à présent chez les Volkov. D'après notre taupe, elle serait la protégée de Feliks, traître aux Medvedev.

Yunii crut avoir mal lu. Il regarda à nouveau la phrase une bonne dizaine de fois, avant d'exploser de joie : sa jumelle était vivante ! Un immense sourire se forma sur son visage, et ses yeux pétillaient de bonheur. Il l'avait toujours su sans vraiment vouloir espérer. Mais elle était bien là, toujours vivante. Yana, sa sœur ! De nouveau les larmes envahirent son visage, mais de joie cette fois-ci. Il avait donc une chance de la revoir.

Puis une soudaine rage prit possession de lui : tous ces gens chez les Medvedev, et notamment Feba, lui avaient affirmé que sa sœur était morte et enterrée avec l'explosion ! Il n'arrivait pas à le croire tant cela lui paraissait irréel. Ils l'avaient toujours manipulé !

Mais la rage ne faisait pas le poids face à l'espoir : Yana était vivante. Elle allait bien. Elle n'était pas morte.

Perdu, il tenta alors de relancer la connexion avec sa jumelle.

Yana ?

Yana tu es là ?

Yunii, c'est toi ?

Yana ! Tu es vivante !

Bien sûr que je suis vivante mon Yu', qu'est-ce que tu croyais ?

Yunii pouvait sentir le sourire de sa sœur de l'endroit où il était. Il hurla de joie.

Mais des pas se firent aussitôt entendre au-dessus de lui, des pas qui se dirigeaient vers sa cellule improvisée.

Oups...euh je dois te laisser Ya, je te rappelle plus tard.

Attends quoi mais... ?

A plus tard !

Il rompit la connexion. Il avait compris que, comme c'était son pouvoir, c'était lui qui décidait de quand ils pouvaient se parler. La trappe s'ouvrit au-dessus de lui, l'aveuglant de lumière. Quand ses yeux se furent accoutumés, il dévisagea Afe qui le regardait avec intérêt.

« Pourquoi tu cries ? C'est quoi, ça ? »

Yunii suivit le regard de l'homme. Et manqua de s'étouffer : il avait oublié de ranger le dossier de Yana.

« Ce n'est rien, c'est un truc de l'institut que j'ai ramené avec moi.

- À quoi ça te sert ?

- Euh...à retrouver ma famille. »

Afe était suspicieux, cela se sentait. Mais heureusement pour le garçon, il ne dit rien et se contenta de reporter son attention sur sa combinaison bleue.

« On va dire que ça ne me concerne pas. Je vais te chercher des vêtements, il faut que tu sois présentable pour le client.

- Le client ? Quel client ? »

Afe commença à refermer la trappe.

« Eh attends non me laissez pas ici ! »

Mais la quasi-obscurité revint malgré tout. Il rappela sa sœur.

Yana tu es toujours là ?

Oui espèce d'idiot. Qu'est-ce qu'il y a ?

Ben disons qu'il y a un petit problème...je me suis échappé de la famille de fous, mais-

Les Medvedev ?

Oui ! Tu les connais ?

Vite fait. Continue.

Yunii n'arrivait vraiment pas à croire qu'il parlait à sa sœur.

Je suis dans un bâtiment de SDF. Ils ont parlé d'un client dont je ne connais rien.

Tu ne peux pas t'enfuir ?

Non, je suis enfermé dans la cave.

Pourquoi tu te mets toujours dans des situations compliquées ?

Arrête de te moquer de moi, qu'est-ce que je fais ?

Tu attends. Tu es où exactement ?

À Novgorod je crois.

Tu ne bouges pas on arrive. 

Les Jumeaux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant