1 - Apprends-moi à vivre

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Je suis né pour être un monstre. Mon géniteur m'a conçu dans le but d'être l'homme le plus puissant de ce monde, le héros n°1, celui qu'il n'a pas pu devenir. Peu à peu, il a installé cette rage en moi, cette rancœur contre le monde entier, contre ceux qui peuvent être normaux, ceux qui n'ont pas d'Alter, ceux qui ont eu quelques parcelles de bonheur dans leur enfance. Certes, je suis fort. Je suis même très fort.

Mais je suis seul.

Je ne veux pas devenir comme lui. Je ne veux pas devenir ce qu'il veut que je sois. Et je ne veux pas contaminer les autres par ma présence. Cette rage brûle en moi, gèle mon cœur dans une sibylline colère, dès que j'entends les autres parler de leur vie. Une mère aimante. Des frères et sœurs sur lesquels on peut compter. Un père plein de fierté. Une famille heureuse. Sans coups, ni sang versé.

Pourquoi ?

Qu'ai-je fais pour être si anormal ? J'ai l'impression d'être seul dans le néant, tandis que le monde rayonne dans les rayons chauds du soleil. D'être le seul coincé avec moi-même, d'être le seul qui doit dompter un lion enragé, enfermé dans mon inconscient. Tout en marchant vers mon domicile où je suis seul la plupart du temps, je me perds dans ces pensées.

Izuku Midoriya.. Il affirmait que ce pouvoir était mien, par conséquent, je ne devais pas le renier. Comment faire lorsque je veux renier à moi seul ma propre existence ? J'aimerais courir, loin de tout et de tous, m'enfermer dans une pièce pour ne pas faire de mal, assassiner ce monstre qui revient chaque fois que je perds le contrôle. Ainsi, je pourrais renaître, être un autre Shouto, peut-être à l'aise avec les gens, agréable, souriant. Qui oserait montrer ses émotions. Qui ne voudrait pas faire aux autres ce qu'on lui a fait.

Un adolescent normal.

Entre le feu et la glace, il n'y a pas de juste milieu. Je suis soit brûlant, soit glacé. Pourquoi ne pourrais-je pas être mesuré, dans les normes ? Pourquoi ne pourrais-je pas être comme lui ? Il est semblable à une petite flamme dansante, pas assez chaude pour causer une brûlure, mais assez pour réchauffer les cœurs les plus froids et rassurer les âmes perdues. Je l'envie, et me demande qu'est ce qui le pousse à persévérer.

Izuku Midoriya, pour quelles raisons est-ce que tu vis ?

Et moi.. ? Ma destinée est-elle de devenir ce monstre ? On a remplacé mon cœur par cette rage avide, que vais-je en faire ? Détruire tout sur mon passage ? Ou me détruire au passage ? La voie de l'égoïsme ou de la destruction ? Les deux ne sont pas sans conséquences.. Que vais-je faire de ce moi qui hurle, qui se déchire intérieurement ? L'enterrer, avec moi au passage, afin de permettre au monde de continuer de rayonner ? Ou ne faire qu'un avec lui, et emporter avec moi cet univers dans les abîmes ?

Alors ? Monstre sanguinaire ou schizophrénie altière ?

Si j'ai survécu aux traitements de mon géniteur, est-ce vraiment pour tout détruire ? Ou ne pourrais-je pas me servir de cette résistance aux coups, aux humiliations, au manque de tout, pour rendre le monde meilleur ? Je pense que Midoriya penserait comme ça.. Mais le monde ne pourra jamais être comme ça. Je gèle ou brûle tout ce que je touche et tous ceux qui osent m'approcher.

Je suis dangereux. Et un héros se doit d'éliminer un danger, les monstres et les malades instables.. N'est-ce pas ?

Suis-je un héros ? Ou un simple imposteur ?

Je passe la porte de mon domicile avec une boule au ventre, la rage dans la gorge, et l'envie de me détruire. Le silence, mon compagnon d'infortune, est toujours à mes côtés. Que faire ? Je n'ai pas faim. Je remarque ma vaisselle que je n'ai pas faite ce matin, pose mon sac et me dirige vers l'évier. Je lave un verre, les yeux dans le monde de mes chimères, réfléchissant à la façon d'éradiquer le monstre et de renaître dans les flammes de mes convictions. Puis-je vraiment tuer une part de moi pour devenir une nouvelle personne ? Ou n'en serais-je pas d'autant plus toxique ?

Je fais mal dès que je m'approche de quelque chose. De quelqu'un.

Je sens une douleur aiguë au niveau de ma main. Je pousse un râle de surprise, et découvre mon verre en miettes dans la paume de ma main, accompagné de ce liquide que j'ai vu trop souvent couler. Les larmes montent, une myriade de gouttes salées commence à couler le long de mon visage, et ma respiration devient anarchique. Mon poumons réclament toujours plus d'air, alors que le liquide garance coule le long de mon poignet pour rejoindre le sol. Je l'accompagne avec un sanglot, m'étalant lamentablement sur le sol de ma cuisine, laissant tout ce que j'ai retenu durant la journée sortir.

Personne ne pourra jamais m'aider. Je sens la crise d'angoisse qui monte, monte, prête à exploser. Personne ne voit ces ténèbres en moi, ce monstre qui se réveille au fil des jours. J'aimerais tant me réveiller et me rendre compte que ma vie n'a été qu'un long cauchemar, que je ne suis pas cet animal enragé n'attendant que la première occasion pour vous sauter à la gorge, que ce n'est pas le véritable moi..

Je vois le sang couler de plus en plus, cette couleur que je porte à chaque instant de ma pitoyable existence, ce rouge qui a rendu folle ma mère et qui rend si fier mon père. Je ne veux plus voir cette couleur horrible.

Je hurle. Je hurle, pour essayer de faire sortir toute cette colère qui me pourrit, qui décompose mon corps en une entité affreuse. Je hurle à m'en déchirer les cordes vocales. Pour éloigner ce silence que j'ai trop entendu. Pour ne pas voir tout ce rouge qui vient de moi.

Je hurle pour me convaincre que ma vie n'est qu'une vaste blague.

Ma respiration devient de plus en plus saccadée, mes larmes translucides se mélangent au liquide qui me fait vivre. Finalement, je ne suis qu'un mélange de larmes transparentes et de sang écarlate. Je me recroqueville sur moi-même, essayant de contrôler mes sanglots qui bloquent mes voies respiratoires.

Apprends-moi à vivre. Libère-moi de ces chaînes qui rongent la peau de mes poignets et qui me font tant souffrir.

J'ai du verre pilé dans les yeux, et des morceaux de moi dans les mains. Que vais-je en faire ? Je ne vois plus rien. Ni les murs flous de ma cuisine, ni le sang qui tâche le sol de celle-ci. Je ne vois que ma douleur.

Alors que ma respiration se calme un peu, je me redresse en ayant l'impression d'avoir les mains empalées sur de milliards de couteaux, et m'affale sur le canapé à quelques mètres de là. Je n'ai pas la force de marcher plus loin.
Ai-je seulement la force de continuer à vivre ?

Izuku Midoriya.. Toi qui est si admiratif du plus grand des héros, toi qui en a fait ton modèle, ne pourrais-tu pas passer le pas de cette porte et venir me sauver des ténèbres qui m'ont engloutis ? Je t'en supplie, aide-moi à devenir celui que je ne devrais pas être. Aide-moi à assassiner ce monstre. Sinon, j'ai bien peur que ma méthode, bien qu'efficace, ne laisse sur cette terre qu'un cadavre à moitié gelé, à moitié brûlé.

Je sens le sommeil qui commence à embrouiller mes sens. La pièce, tout d'abord floue, devient de plus en plus noire. Mes mains me piquent encore, mes larmes coulent encore, ma peine déborde encore. Et je n'appelle que toi, encore. Entends-tu le bruit délétère de mes supplications ? Entends-tu mon cœur meurtri qui ne hurle que ton nom ? Entends-tu ma voix rauque qui faiblit à cause de mes nombreux appels à l'aide ?

Izuku Midoriya, viendras-tu me sauver de ce moi qui me noie et qui m'étouffe ?

Mes dernières pensées sont pour toi, alors que je sombre dans les profondeurs de mon inconscient, pour rejoindre le monstre que je suis au plus profond de moi et ne faire qu'un.

Demain, il faudra y retourner et survivre, une fois encore.

Et une fois encore, je n'aurai d'yeux que pour deux choses. Toi, et ma sempiternelle souffrance.

「Born to be a monster」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant