Une vague roule, elle est suivie par une deuxième, puis une troisième. Elle a déchaussé ses chaussures, ces dernières observent le spectacle de côté, renversées sur les galets. Un paquet de cookies carrefour discount est ouvert sur ses genoux : l'heure du goûter n'attend pas.
Une mouette s'approche. Son bec jaune se soulève en direction du ciel, avant qu'un cri reconnaissable ne s'échappe de sa gorge et que son petit corps emplumé ne s'agite. Accoutumée à un tel spectacle, la jeune femme ignore la vorace et enfourne goulûment un des gâteaux dans sa bouche. Des scronch scronch résonnent et l'apaisent.
Les palmiers font de l'ombre à la promenade des anglais, la célébrité du coin. Un léger vent marin souffle une de ses mèches rebelles. La belle demoiselle est concentrée sur un écran pas plus grand qu'une main. Les sourcils froncés, des grognements de mécontentement lui échappent, alors même que le lieu semble idyllique pour un instant de relaxation.
Le biscuit de la jeune femme a laissé des miettes sur le plaid. Un pigeon courageux tente une approche sous l'œil assassin de la rieuse. Il est vite découragé lorsque sa main s'élève dans le ciel et ne lui ordonne de déguerpir. Peut-être qu'il aura plus de chance avec la glace du petit garçon, quelques mètres plus loin ?
Son portable s'est éteint, manquant de batterie. La demoiselle soupire. Elle qui était en train d'écrire un message enragé à un garçon un peu trop entreprenant et lent de compréhension. Louise Martin n'a jamais été du genre patiente ou tolérante avec ses camarades de sexe masculin. Dommage, on verra ça plus tard, se dit-elle, mais il y a de grandes chances pour que sa colère se soit apaisée et que sa réponse reste évasive et sympathique.
Elle s'allonge et admire le ciel d'un bleu Azur et se dit que la région porte bien son nom. Son cerveau est pourtant rapidement hélé par la réflexion du garçon et le ciel magique disparaît.
Au pire je le bloquerai, pense-t-elle pour oublier. C'est si beau la virtualité, on peut mettre des barrières invisibles à des gens qui ne sont même pas dans notre champ de vision. Elle pourrait rentrer chez-elle, allumer la télé, s'enrouler dans un plaid et glandouiller. Planning satisfaisant à tous les niveaux, mais habituel.
Ou alors, elle pourrait rester là, à divaguer en regardant les nuages. À observer les volatiles fugaces et méfiants ou simplement profiter du soleil qui caresse sa peau et de l'iode qui s'engouffre dans son nez. Quand la jeune femme pense à tous ces gens coincés dans leurs blocs de béton à étages, sous la grisaille parisienne, elle se dit qu'elle va profiter encore quelques instants des rayons lumineux. Quand on a la chance de vivre dans une aussi jolie ville que Nice, on ne peut pas se permettre de jouer les fines bouches.
Plus loin, un oiseau au plumage bleuté l'observe, curieux. Il connaît cette jeune femme. Il n'est peut-être pas le volatile le plus intelligent de la région, mais sa mémoire ne lui joue jamais de tours.
Dans son petit crâne, un véritable GPS est inséré, ainsi qu'une carte SD dont le créateur lui a fait cadeau. Et la bébête sait en faire bon usage. Dans son arbre généalogique, de grands pigeons voyageurs ont servi les soldats américains et français durant la Seconde Guerre mondiale.
Ses ancêtres adressaient les positions des Allemands via des coordonnées notées par les résistants et les taupes infiltrées dans le régime nazi, sur des feuilles qu'ils coinçaient dans de petites bagues à leurs pattes. Grâce à sa famille, des centaines de vies ont été épargnées. Malheureusement, le métier a disparu et les honneurs avec.
Malgré tout, le don a continué de se transmettre.
Il y a quelques semaines, Ugues survolait Lugdunum, Lyon pour les profanes - le piaf n'a jamais prétendu ne pas avoir un peu de confiture de culture à étaler - lorsqu'il fut intrigué par la démarche d'une jeune fille aux cheveux blonds. Elle tanguait, une boîte en carton coincée entre le creux de sa hanche et de son coude. Ses pieds traçaient des zigzags sur le trottoir.
D'un battement d'ailes, il ralentit sa course et se posa près d'un banc. D'autres bipèdes à franges attendaient à un arrêt de bus, pas loin. La demoiselle arriva rapidement à son niveau et déposa le paquet qui semblait léger, près des poubelles. Elle fit demi-tour, la face impassible, sans jeter un coup d'œil en arrière. L'animal à plumes maudit sa condition. Il ne pouvait pas ouvrir la boîte à cause de ses ailes.
Son plus gros défaut a toujours été la curiosité. Beaucoup de ses congénères volants ne comprennent pas son obsession pour les humains et leurs histoires. Et certains le rejettent même pour cette singularité. Comment peut-il s'intéresser autant à ces monstres qui passent leur temps à nous chasser ? répète toujours sa sœur.
Mais Ugues a toujours été différent. Élevé par son arrière-arrière-arrière-grand-père, il a du respect pour ses aînés et les histoires du passé. Il observe les humains depuis pigeonneau et a vu en eux quelque chose de grand. Quelque chose que même ces Hommes ne voient pas.
Face à cette boîte pleine de mystère, il tenta désespérément d'intéresser ceux qui avaient la chance de posséder des mains, mais malheureusement, cette espèce détestait les oiseaux dans son genre et le jetait en criant : dégage sale pigeon.
S'ils avaient seulement conscience de la psyché de la bestiole, ils lui parleraient sûrement autrement. Notre bien-aimé Ugues avait été contraint d'abandonner la jolie boîte, mais il se promit de la surveiller et de découvrir son secret.
Nous verrons bien assez tôt que notre pigeon sait tenir ses promesses et que ce n'est pas sa seule qualité.
Son esprit de retour à Nice, le joli oiseau ne lâche pas d'un bec sa cible. Aujourd'hui, Ugues a retrouvé la jeune fille à la boîte et il se dit que ce n'est certainement pas le fruit du hasard.
Croyez-moi, il n'est pas près de les lâcher, elle et son secret.
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Blog d'une fille en colère
General Fiction[Tome 2 de Journal d'une mythomane. Il peut être lu sans avoir lu le premier tome, car les deux oeuvre se déroulent chronologiquement en parallèle, mais il y a présence de spoils.] Ugues a toujours aimé les histoires. Il a beau n'être qu'un pigeon a...