En revenant de la plage aux galets, la jeune Louise prend pour décision de s'attabler à son bureau et entre le mot de passe pour accéder à son site, nommé : Le blog d'une fille en colère.
Après de longs jours d'hésitation, elle s'est enfin décidée à écrire sur Internet. L'appréhension a été grande, le jour de la publication du premier article sur son blog, mais grâce à une amie influenceuse, qui a eu la gentillesse de publier son lien sur son compte instagram : @lafashionista.com, elle a rapidement trouvé des lecteurs. En une semaine, elle a reçu plus d'un millier de visites et des dizaines de commentaires extrêmement bienveillants, qui lui donnent envie de continuer d'écrire et de le partager.
La jeune femme relit le premier article, qu'elle a réécrit soixante fois avant d'appuyer sur le bouton effrayant « PUBLIER » :
« Ce matin, quand j'ai traversé les portes du lycée, j'étais prête. Ma frange sur le front, le menton relevé, la posture droite. J'étais prête, comme tous les autres, à haranguer le lycée. Mes nouvelles fringues m'allaient plutôt bien et j'étais amoureuse de mes bottes new-yorkaises. J'avais eu un coup de cœur quand je les avais trouvées chez le célèbre Macy's de la grosse pomme. J'allais faire des jalouses.
Je repère les quelques têtes que je connais et m'approche de celles que j'apprécie, tout en évitant copieusement, celles que je ne veux pas voir. Snober ça fait tellement de bien. Durant la journée, je remarque qu'il y a tout un tas de nouveaux, plutôt cool, surtout au niveau des garçons, je vais peut-être pouvoir m'en dégoter un ?
Y en a des pas mal, des très mignons et puis les autres... Parmi les filles, y en a qu'une qui m'a vraiment approchée, son discours de « Je suis là pour être populaire et d'ici la fin de l'année, je veux avoir baisé, vous êtes de la partie les filles ? » m'a fait mourir de rire.
La popularité ? Je lui laisse avec GRAND plaisir et je compte bien garder ma virginité encore quelque temps. Il est vrai qu'elle est drôle et cela change du groupe de pétasses habituelles et des éternelles même têtes. Laissons-lui une chance. »
Plutôt satisfaite de son travail, elle ouvre une page Word et commence à taper sur le clavier.
« Satisfaction totale aujourd'hui,
Je suis arrivée en retard à mon premier cours d'Espagnol à cause d'une histoire de frelon et de casier : la nouvelle s'est fait piquer (au passage, elle s'appelle Vivienne). Je toque à la porte, comme l'élève parfaite que je suis et m'excuse. Je m'installe à une table au fond et au moment où mon prénom est énoncé lors de la liste de classe, le prof me regarde avec un air ahuri.
— Louise Martin ?
— Oui, c'est moi.
Il me fixe et laisse passer quelques secondes, puis finit la liste avant de donner un exercice et de se diriger droit vers moi.
— C'est vous ? Je ne vous avais pas reconnu, c'est dingue comme vous avez changé.
Ses yeux sont écarquillés au-dessus de mon bureau.
— Oui je sais, merci monsieur.
Il ne dit rien de plus et rejoint sa table. Comme quoi, mes voisins ne sont pas les seuls à avoir remarqué mon changement radical. Personne n'ose le dire à voix haute, mais je sais ce qu'ils pensent tous : eh beh, elle s'est vachement embellie la petite.
Faites place à la nouvelle Louise, elle va ravager tous les obstacles sur son passage tel un ouragan tropical. »
Le drôle d'oiseau aux plumes bleus est encore là, blotti contre les carreaux chauds de sa fenêtre. Il ne sait peut-être pas lire, mais il est doté d'un sixième sens. Celui-là même, qui vous fait ressentir l'empathie et qui vous permet de vous adapter aux émotions des autres. C'est grâce à cela que le piaf arrive à détecter le bonheur chez mademoiselle Martin.
Il se demande si elle sait.
Après l'avoir vu déposer le carton, il y a un mois, le pigeon est devenu chien de garde. Pendant trois jours, il a veillé sur le carton et son trésor. Jusqu'au moment où enfin, un jeune homme s'est décidé à approcher. Ugues en fut tout réjoui. Même s'il ne regardait pas l'humain d'un bon œil.
Quelles pouvaient donc bien être ses intentions ?
Il avait suivi le bipède jusqu'à son nid douillet. Un appartement situé au cinquième étage qui, heureusement pour le volatile, a plusieurs fenêtres dont un petit balcon.
Du haut de son perchoir, l'espion plumé a pu assister à l'ouverture de la boîte mystérieuse. À son grand étonnement, des carnets en sortirent. Il repéra également l'animal gardien de la maison. Un certain Rufus, si on en croyait l'humain. Doté d'un regard meurtrier, Ugues a pris la raisonnable décision de garder ses distances avec ce dernier. Mieux vaut garder ses plumes, que finir en joujou pour matou.
Si l'on peut dire que le pigeon apprécie les humains, ce n'est pas le cas des félidés. Ces bêtes ne voient les volatiles dans son genre que comme des jouets volants ou des casses croûtes. Il aurait presque pu avoir la chair de poule à cette pensée, mais il n'est pas de cette trempe-là.
Bien caché, Ugues a rapidement remarqué une nouvelle activité de l'étudiant. Il passait ses journées à recopier les carnets sur son ordinateur. De plus, une conversation avec une jolie brune ne lui avait pas échappé et il avait tout entendu du projet de ce jeune humain. Ses intentions n'étaient donc pas bonnes.
La jeune femme l'avait pourtant menacé, il ne l'avait pas pris en compte et n'avait guerre cessé de s'enfoncer dans son idée frauduleuse. Le pigeon en était fou de rage. Son fessier lâcha une fiente qui vint atterrir sur le sol, évitant de justesse la petite mamie qui poussait avec difficulté son cabas plein.
Ses plumes frétillent et remuent en se rappelant l'attitude de ce Ben, si l'on en croit son colocataire chevelu. Ugues continue d'observer Louise et se demande comment il va bien pouvoir faire pour la prévenir. Il n'a jamais supporté l'injustice. Et en son for intérieur, il espère faire ressortir le meilleur des êtres humains.
Malgré tout.
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Blog d'une fille en colère
General Fiction[Tome 2 de Journal d'une mythomane. Il peut être lu sans avoir lu le premier tome, car les deux oeuvre se déroulent chronologiquement en parallèle, mais il y a présence de spoils.] Ugues a toujours aimé les histoires. Il a beau n'être qu'un pigeon a...