La Faucheuse.

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Une lumière vive jaillit sur les vastes plaines du Purgatoire, laissant apparaître un garçon de petite taille, entouré d'une longue cape sombre et d'une faux. Une capuche noire et trouée recouvrait son visage telle une chute d'eau glacée, sa cape immense recouvrant entièrement ses jambes et ses pieds, donnant l'illusion qu'il planait à quelques centimètres au dessus du sol. Devant lui se trouvait un grand arbre, au tronc épais. La Faucheuse le contempla longuement en silence: bientôt, cet endroit si beau et paisible grouillerait d'âmes. Le grand arbre Aléthéia, cet arbre sombre portant fièrement sur ses immenses branches entortillées bon nombre de feuilles violacées, se reflétait dans le petit étang juste en dessous de ses racines épaisses, dévoilant un triste reflet où toute couleur était anéantie. L'arbre de la vérité, qui, lorsque vous oserez poser les yeux sur lui, vous dévoilera dans son propre reflet les secrets les plus enfouis de votre âme. Lui, n'y voyait que du noir et du blanc. Le garçon scruta les environ d'un rapide coup d'œil, et lorsqu'il fut certain que personne ne viendrait troubler sa tranquillité, il ôta son capuchon. Il se pencha au dessus de l'eau calme et limpide et observa son reflet avec une certaine malice dans le regard. L'être qu'il voyait désormais n'avait plus rien de la Faucheuse, rôle qui lui avait été attribué lors de sa mort. Il avait l'impression d'être devenu quelqu'un d'autre, quelqu'un de meilleur. En effet, dans cette eau claire, il pouvait parfois entrevoir des fragments troubles de son passé, dans les tracés bien dessinés de son visage pâle, dans les cheveux d'or et dans les mèches rebelles qui ornaient sa tête. Lorsqu'il observait les humains vivre en parfaite ignorance de tout, il ne pouvait s'empêcher de les envier profondément. Il n'avait pas voulu de cette mort, lui. Il était encore terriblement jeune à l'époque, il avait tellement grandi depuis... Puis, s'arrachant à ces quelques notes douloureuses, il passa ses mains blanches comme la neige derrière sa tête, désordonnant quelques mèches blondes de plus au passage, et remit son capuchon en place, au dessus de son visage, se redressa doucement et, se détournant de l'étang, reprit sa marche.

La Faucheuse continua jusqu'à se trouver sur la place marchande, au centre du Purgatoire. Ici s' exerçaient les Esprits qui n'avaient trouvé leur place dans l'Abîme, et s'étaient refusés à devenir des Défaillants. Ils commercialisaient avec sympathie (pour la plupart) toutes sortes d'objets introuvables ailleurs. La Faucheuse s'était fait plusieurs amis, ici, mais il ne les voyait que très rarement. Il effleurait les dalles avec sa cape noire, cherchant un endroit convivial où s'arrêter quelques heures. Il n'hésita pas longtemps lorsque son regard se posa sur la Taverne locale. Un panneau en bois solidement accroché au dessus de l'entrée vacillait au gré du vent, grinçant doucement. Celui-ci laissait apparaître un unique message, telle une invitation: « Le Crépusculaire. »
La Faucheuse passa la porte sans un mot. À l'intérieur, un garçon aux cheveux bruns désordonnés et au regard empli de gentillesse releva le nez, et s'empressa de lui adresser un vif geste de la main lorsqu'il l'aperçu. L'aura que dégageait ce garçon était un mélange de paix et de joie débordante, ainsi qu'un surplus d'innocence que seuls les enfants en bas âge possédaient encore. Toutefois, étrangement, elle semblait encore subsister chez lui.

-Ewen! Ewen! cria ce dernier, en agitant les bras dans tout les sens pour attirer le regard du nouveau venu.

Il renversa par la même occasion, d'un coup de coude involontaire, une choppe remplie d'une substance verdâtre que buvait l'homme à côté de lui. Une marre verte gluante s'étala alors sur le bar en bois ancien où ils étaient adossés.
L'homme lança un regard courroucé vers le garçon en lui lançant mille reproches. Le garçon lui présenta rapidement de brèves excuses, et s'empressa de lâcher, en voyant sa bourse en cuir tristement vide, une promesse de rachat de sa choppe d 'Hydromène perdue, lorsque leurs chemins se croiseraient de nouveau. L'homme se contenta de soupirer un grand coup et de recommander une autre choppe de l'élixir qui remplissait entièrement son verre quelques instants plus tôt. L'autre n'attendit pas plus longtemps, et profita de cet instant pour filer droit vers son ami, celui qui se faisait couramment appeler la Faucheuse.

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