Chapitre 7

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La situation empira aux alentours de dix-huit heures. Tandis que la puissance du vent avait jusque là stagné aux environs de quatre-vingt-dix kilomètres par heure (rien d'exceptionnel), les rafales se déchaînèrent soudainement, atteignant approximativement les cent-soixante-dix kilomètres par heure. 

Lorsque le verre de la porte vitrée que nous avions laissée découverte se mit à trembler, Madame Wolka s'empara une nouvelle fois du microphone, ramenant l'attention tout à elle. D'une voix troublée, elle nous fit part de ses inquiétudes :

- Voyez-vous comment le vent souffle fort ? Ce n'est que le début de ce que les météorologues annoncent. Le verre que vous voyez ici vibrer peut céder à tout instant. Je pense - et, je vous en prie, ne vous offusquez pas ! - que nous pourrions...disons...envisager de recouvrir cette faille qui nous met déjà tous en péril.

Des cris choqués, voire même horrifiés, retentirent parmi la foule. Pour ma part, je me figeai, outrée. Envisageait-elle réellement de sacrifier deux des nôtres ?

Face à l'opposition générale, la proviseure précisa ses pensées :

- Ne vous méprenez surtout pas ! Je ne suis pas une meurtrière. Mon plus grand souhait est que tout le monde se relève demain sain et sauf. Mais, comme vous en avez conscience, nous sommes en temps de crise et...

- Ne faites pas cela, je vous en supplie !

Je reconnus l'accent de la femme de ménage que j'avais renversée plus tôt dans la journée. Inutile de préciser que l'événement semblait remonter à une autre vie... Daniela poursuivit :

- Je connais bien Philippe Legrand. Il est adorable avec moi : il ne me méprise pas, loin de là ! Il est adorable. Souvent, lorsqu'il me croise, il m'apporte un café et une viennoiserie. Il reste même discuter avec moi, parfois ! Et puis, Benjamin Prevost...il est gentil aussi ! Et puis, qu'est-ce qu'il est jeune ! Vingt-cinq ans, ce n'est pas un âge pour mourir. Je vous en prie, Madame la proviseure : avec tout le respect que je vous porte, ne sacrifiez pas leurs vies ! Ni l'un ni l'autre ne mérite de mourir emporté par le vent...

Madame Moreau renchérit :

- Il est hors de question que nous les abandonnions de la sorte ! Je m'y oppose - et je suis sûre que bon nombre de mes collègues désapprouvent également.

Certains acquiescèrent. Madame Wolka, au lieu de s'énerver comme elle l'avait fait précédemment, répondit avec compassion :

- Je comprends bien. Je sais, Gwenaëlle, que Benjamin est votre collègue et ami, et que, tous les deux, vous vous entendez très bien. Tout comme j'entends que Madame - Daniela, est-ce bien cela ? - tient beaucoup à Philippe Legrand. Mais vous comprenez, je me dois de protéger les élèves à tout prix et...

Un violent claquement retentit et un courant d'air parcourut la pièce, me faisant frissonner au passage.

- Bordel ! Qu'est-ce qu'il flotte !

Monsieur Prevost et Monsieur Legrand s'écroulèrent à moitié sur le sol du hall, provoquant quelques hurlements au passage. Ils étaient trempés : l'eau leur dégoulinait de toutes parts. Haletants, tremblants, ils lâchèrent brusquement les cinq caisses qu'ils avaient réussi à ramener avec eux. 

Mehdi, le surveillant, qui s'était précipité pour refermer la porte derrière les deux hommes, commença à ramasser les barres de céréales qui s'étaient répandues sur le sol. Passé les quelques secondes de choc, leurs collègues, oubliant la retenue dont ils faisaient habituellement preuve devant nous, élèves, se précipitèrent pour les prendre dans les bras, leur ébouriffant les cheveux et les embrassant de tous les côtés au passage. Nous-mêmes poussâmes des cris de joie devant ce semblant d'espoir qui se dessinait, et acclamâmes en héros ceux que nous voyions désormais comme des survivants. 

Une fois tout le monde calmé, un élève, que j'identifia comme appartenant à la Terminale ES 1, s'écria :

- Il faudrait peut-être boucher la dernière ouverture, maintenant, non ?!

Quelques adultes se précipitèrent alors pour calfeutrer le-dit trou. J'observai donc ,pour ce qui me sembla être la dernière fois, le ciel orageux ravagé par les éclairs et zébré par les trombes d'eau qui tombaient désormais. Puis, tout cela disparut, peu à peu remplacé par la vue du métal argenté. Seul le bruit, alors, nous empêchait d'oublier ce qu'il se passait dehors. 

Je fermai quelques instants les yeux. Le clapotis infernal des gouttes de pluie dominait tout le reste. Le vent lui-même hurlait à l'extérieur de l'enceinte où nous nous trouvions. 

Je rouvris mes paupières. Alors que Messieurs Legrand et Prevost se faisaient toujours dorloter par leurs amis et collègues, et que d'autres adultes que j'identifiai comme les membres du personnel de restauration, secondés par deux surveillants, effectuaient l'inventaire de nos ressources actuelles et réfléchissaient au meilleur moyen de les distribuer, un coup de tonnerre retentit et fit trembler les murs. 

Il y eut plusieurs hurlements - moi-même, sous le coup de la surprise, je poussai un cri strident - suivis d'un étrange grésillement.

Madame Girolle, l'unique enseignante de Sciences du numérique de notre lycée, lâcha un juron. Il y eut un flash lumineux, puis toutes les lumières s'éteignirent au même instant, provoquant la terreur de la plupart d'entre nous. Le nombre de cris augmenta considérablement en même temps que la tension - qui était un peu redescendue avec l'arrivée des friandises - croissait à une vitesse hallucinante, menaçant de franchir le seuil de la crise d'hystérie.

Dans le remue-ménage, quelqu'un me rentra dedans et je m'écroulai, me cognant au passage la tête contre le coin d'une table. Mon crâne me lança et je gémis de douleur, sentant les premières larmes perler aux coins de mes yeux. 

Je ne distinguais aucune silhouette à plus d'un mètre de moi. Je fus soudain prise d'une véritable terreur à l'idée de me faire écraser, piétinée par mes camarades. Malgré la confusion de mon esprit et le brouhaha qui régnait, je perçu le son de la voix de quelqu'un criant mon nom :

- Hannah ! Où es-tu ?! Hannah !

J'hurlai à mon tour : "ici !". Une main tâtonna et finit par agripper la mienne. Contrairement à la voix que j'avais perçue hurlant mon prénom, les doigts resserrés autour des miens n'appartenaient pas à Sarah - ni même à une fille d'ailleurs. 

L'individu me remit sur pieds et, sous le coup du soulagement, je m'agrippai à lui comme à une bouée de secours. 

- Tout va bien... Ce n'est pas parce qu'il fait plus obscur que tu dois te sentir davantage en danger.

Cette voix... Je connaissais cette voix...     

Celui qui était définitivement un garçon me caressa gentiment le dos, ce qui eut pour effet de calmer ma respiration affolée. L'évidence me sauta soudain à la figure. Je murmurai son nom :

- Matthieu...merci...

Nous entendîmes comme un bruit de verre brisé, suivi de la voix de Monsieur Blaise amplifiée par le microphone :

- Calmez-vous, s'il vous plait ! Vous ne faites qu'empirer la situation ! L'électricité est visiblement coupée, mais il semble y avoir des lampes de poche en salle des professeurs et à la vie scolaire. Des membres du personnel vont aller les chercher. Mais, en attendant, par pitié, calmez-vous ! 

Le silence se fit et le proviseur adjoint rajouta :

- Pour plus de sécurité, restez accrochés les uns aux autres, ne vous lâchez pas. Essayez également de ne pas trop vous déplacer, de conserver une certaine immobilité... 

Je sentis le souffle de Matthieu sur mon visage. Il me chuchota alors de sa belle voix grave :

- Tu as entendu ? Ne crains rien, Hannah, je ne te lâche pas.

- Merci, murmurai-je une énième fois.


Ça ne devait pas être pour demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant