Chapitre 15

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Quelques heures passèrent pendant lesquelles je ne fis rien. Je n'envisageais pas de vivre dans un monde sans mes parents, sans mon frère, à l'autre bout du monde et sans nouvelle d'eux. Une existence en laquelle l'unique but serait de rester en vie. Mais à quoi bon vivre pour seulement exister ? Est-ce que cela avait un sens ?

Alors, la tête enfouie dans mon oreiller trop rigide, j'oubliais tout et m'imaginais une nouvelle vie qui n'existera jamais, comme une alternative à cette destinée absurde. Pour la première fois depuis mon entrée au collège, je me remis à rêver au Prince charmant qui, par je ne sais quel miracle, viendrait me chercher sur son beau cheval blanc pour m'emmener dans son monde si brillant dans lequel tout allait bien, où le seul danger était incarné par un vilain dragon qu'il suffisait de charmer ou de transpercer avec une lance... 

Je me pris vraiment au jeu et plongeai dans une sorte de semi-sommeil empli d'histoires merveilleuses. Puis une femme, la quarantaine, les cheveux bruns et les sourcils épais, me secoua et me fit sortir de cet état de transe dans lequel je m'étais volontairement plongée. 

- Mademoiselle Camille, il faut vous lever. Vous êtes attendue en salle d'approvisionnement. Il est minuit, mademoiselle, et votre convoi part dans un peu plus de trois heures. Allez, debout !

Je la fixai, n'ayant pas envie de bouger - même d'un iota. Peut-être suffisait-il que je ne m'exécute pas pour que la vie reprenne son cours normal ?

La femme insista et je finis par obtempérer, me résignant à cette étrange réalité qu'avait revêtu mon univers. Toujours vêtue d'une sorte de chemise de nuit mauve, je suivis celle qui devait être un genre d'infirmière à travers les quelques couloirs du centre où j'avais été hospitalisée. 

Nous débouchâmes enfin dans un grand hall qui aurait pu faire office de gymnase et où toute une ribambelle d'enfants et d'adolescents, entourés du même horrible vêtement que moi, étaient regroupés. Cinq stands étaient répartis aux différents coins de la vaste pièce : le premier était annoté "Moins de trois", le second "Mater.", le troisième "Prim.", le suivant "Coll." et enfin - celui qui me concernait le plus - "Lycée". La femme aux épais sourcils m'indiqua la dernière table puis me laissa, partant sans doute chercher une autre pauvre jeune fille désorientée. 

J'allai donc rejoindre le rang des lycéens trop troublés pour s'adresser la parole. Ailleurs, à seulement quelques mètres de moi, les plus jeunes d'entre nous appartenant majoritairement aux classes "Moins de trois" et "Mater." gémissaient, de grosses larmes dévalant leurs petites joues rebondies et enfantines. Pour ma part, je scrutais désespérément le rang des collégiens à la recherche d'Antoine. J'avais besoin de le voir, de savoir que lui - mon petit frère adoré - était vivant et se portait bien? Mais non. Parmi tous ces gamins que les adultes peinaient à mettre en rang, je ne pouvais l'apercevoir. Pourtant, je m'accrochais désespérément à l'idée qu'il était là, tout proche, son cœur battant si fort que je serais presque en capacité de l'entendre.

Mon propre rang avança et, une vingtaine de minutes plus tard, je me retrouvai devant la petite table recouverte d'une hideuse nappe plastifiée vert kaki. Assis juste derrière, un homme de petite taille - environ un mètre soixante - le crâne presque chauve seulement parcouru par quelques points grisâtres, une barbe de quelques jours mal rasée et de petits yeux sombres et perçants, soulignés par de profondes cernes. S'adressant à moi, il demanda d'une voix rauque :

- Votre nom, votre prénom et votre date naissance, je vous prie.

- Camille, Hannah, cinq mai deux-mille-sept. J'ai quinze ans, mais j'en aurai seize cette année, répondis-je timidement.

- Je ne vous ai pas demandé votre âge ! s'énerva celui qui devait être une sorte de secrétaire, agacé.

- Excusez-moi...

Ça ne devait pas être pour demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant