Chapitre 3

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Après l'heure d'Espagnol qui avait suivi celle de Physique-Chimie, j'étais débordante d'énergie à dépenser. C'était donc avec enthousiasme que je me dirigeais, Sally et Quentin à mes côtés, vers la porte principale du lycée pour me rendre au gymnase où nous allions avoir cours de sport. En ce moment, nous pratiquions le badminton et je me trouvais dans l'une des meilleures catégories (contrairement à la séance précédente, gymnastique, durant laquelle je n'avais fait que me ridiculiser...) : j'avais donc hâte de reprendre la montante-descendante là où nous l'avions laissée la semaine précédente.

J'abaissai la poignée et tirai sur l'un des battants de la double-porte mais celle-ci resta étrangement immobile.

- Qu'est-ce que tu fabriques ? Tu n'as pas la force d'ouvrir, peut-être ? me taquina Clément qui nous avait rejoints.

- Non, elle ne s'ouvre vraiment pas, répondis-je la voix hésitante.

Un attroupement, composé essentiellement des élèves de ma classe, s'était formé autour de moi. Théa, dédaigneuse, éructa :

- Laisse-moi faire, pauvre idiote !

Elle me poussa mais se retrouva rapidement et malgré elle face au même résultat que moi, déclenchant de nombreux ricanements moqueurs parmi l'assemblée. 

- C'est bon ! s'énerva celle qui vraisemblablement en avait contre moi aujourd'hui. 

Force était de constater que la porte était fermée à clefs. Mehdi, un surveillant métisse, grand et baraqué accourut et s'écria :

- Personne ne sort du lycée. On ne bouge pas, vous tous !

Je répliquai, paniquée à l'idée de me retrouver pour la seconde fois de la journée en retard et inquiète de l'air si sérieux que revêtait Mehdi, d'habitude si jovial :

- Mais nous avons cours d'E.P.S ! Notre professeure va nous attendre... 

Madame Chamouri, la-dite enseignante, arriva à cet instant au pas de course. S'arrêtant devant nous, essoufflée, et ne prenant même pas la peine de nous saluer, elle répéta les directives du surveillant :

- Vous ne sortez pas d'ici. Regardez la couleur du ciel et la façon dont les arbres penchent déjà ! Personne. Ne. Quitte. Le. Lycée. 

Les cieux avaient en effet pris une étrange teinte sombre, autour du gris et du violet tirant sur le noir. Les arbres se balançaient tels des roseaux. L'atmosphère était lourde mais il ne pleuvait pas. Les quelques autres élèves se trouvant dans le hall se rameutèrent autour de nous. L'un d'eux, probablement en terminale, protesta calmement :

- Attendez. Est-ce que cela signifie que nous n'allons pas rentrer chez nous ?

Notre professeure d'Education physique et sportive allait répondre lorsque la proviseure accourut à son tour. 

- Que se passe-t-il ? Est-ce que tout le monde va bien ?

- Wesh, madame ! 'Parait qu'on est coincés ici ! s'écria un jeune homme, une chaîne pendant en tant que ceinture à sa taille et une casquette à l'effigie d'un groupe de rap visée sur la tête. C'est quoi ce bordel, m'dame ?! 

La dirigeante de l'établissement s'offusqua :

- Soyez poli, je vous prie. Et arrêtez avec ce "wesh", c'est insupportable ! En outre, retirez-moi immédiatement ce couvre-chef de votre tête !

Pendant qu'elle s'énervait, j'examinais Madame Wolka. En sa qualité de proviseure, elle portait un tailleur strict et des bottines à talons, noires, qui, malheureusement, ne la grandissaient pas tant que cela. Son rouge à lèvres vif contrastait avec la pâleur de sa peau laiteuse constellée de tâches de rousseur. Ses cheveux auburn étaient maintenus en un chignon qui se voulait strict mais dont quelques mèches rebelles s'étaient échappées. Elle ne devait pas avoir plus de quarante ans. En outre, contrairement à son habitude, elle ne paraissait absolument pas sereine. Elle avait plutôt l'air très anxieuse. Quelque chose ne tournait pas rond.

- Non, je suis au regret de vous annoncer que vous n'allez bel et bien pas rentrer chez vous ce soir, répondit-elle finalement, lugubre. La situation s'avère beaucoup plus catastrophique que ce qu'on envisageait...

Mon cœur loupa un battement et toutes mes pensées furent redirigées vers ceux que j'aimais, et en particulier mes parents et Antoine. Mon petit frère avait une peur terrible des orages. 

- Et nos familles ?! demandai-je paniquée. Que va-t-il se passer pour nos familles ? Mon père devait venir me chercher. Je suis sûre qu'il va se mettre en danger.

Ma voix s'était malgré elle brisée sur la dernière syllabe. J'étais actuellement en train d'envisager les pires scénarios possibles. Ce fut Mehdi qui me répondit, compatissant :

- Tes parents sont déjà prévenus. Ils vont eux aussi rester confinés dans leur lieu de travail ou bien chez toi, si c'est là-bas qu'ils se trouvent actuellement. Ton petit frère, quant à lui, va devoir se réfugier dans son collège. Les adultes s'y trouvant vont bien s'occuper de lui, ne t'inquiète pas, Hannah...

La panique commençait à enfler parmi les élèves. Quelqu'un, une jeune fille que je ne connaissais pas, au bord de l'hystérie, s'exclama :

- Il faut que j'appelle ma mère. Il faut que je l'appelle !  

Un de ses camarades lui intima de se calmer.

- Le réseau commence à être coupé, nous informa madame Wolka. Nous avons envoyé un e-mail à vos parents pour les avertir du danger de la situation présente et les prévenir de ne rien tenter, de ne pas venir vous chercher. Mais, si vous en ressentez le besoin, vous pouvez toujours essayer d'envoyer un dernier message à quelqu'un à qui vous tenez beaucoup... Je suis vraiment navrée que vous ayez à vivre cela, mais la situation est inédite pour tout le monde ici.

Un garçon appartenant à la seconde 12, s'écria bêtement :

- Moi, je trouve ça plutôt cool ! Pour une fois qu'il se passe quelque chose dans nos petites vies minables...

- Ta réaction est totalement puérile, répondit Justine, une première S. 

Pour ma part, j'attrapai immédiatement mon cellulaire et me rendis dans les contacts. Pour une fois, je n'eus même pas à me concentrer. L'appareil capta immédiatement ma pensée, claire comme le cristal. J'entendis raisonner dans mon oreille interne, là où le capteur était implanté : "Veuillez penser au message que vous souhaitez envoyer à Antoine - nous le retranscrirons.". Je cliquai sur le bouton annulation et passai en mode manuel, ce qui était à vrai dire assez rare.

 En effet, depuis que l'industrie des smartphone avait réussi à intégrer un capteur de pensées dans le cerveau de tout ceux qui le réclamaient, le principe avait fait fureur. Depuis l'année dernière, où la découverte avait paru, les trois quarts de la population des pays développés s'en était pourvu. Ça m'effrayait un peu, pour être honnête, mais j'avais succombé à l'achat de cet appareil ultra sophistiqué et plutôt bon marché, comme tous les membres de mon entourage. Heureusement, il était possible d'éteindre l'implant. Le mien était donc rarement allumé...

Quoi qu'il en soit, mon esprit était trop embrouillé pour que le résultat du message soit satisfaisant. Je cliquai donc sur les touches du clavier de mon téléphone, projetées pour l'une des premières fois.

Salut, Ant. Ce qui arrive est effrayant, n'est-ce pas ? Mais là où nous allons être, nous serons en sécurité. Reste avec tes amis et tes profs. Aucun éclair ne t'atteindra, je te le promets, petit bonhomme. Sois courageux. Je te protégerai par la pensée de là où je suis. Papa et Maman aussi, j'en suis certaine. Je t'aime très fort, Antoine. A très vite. Hannah.

Le message s'envoya avec difficulté mais y parvint tout de même. Une larme coula alors malgré elle le long de ma joue. 

Il y a quelques heures encore, tout allait parfaitement bien. En quelques secondes seulement, tout avait viré au cauchemar...

Ça ne devait pas être pour demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant