Chapitre 3.1 : Andria Ioannis

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Adélie contempla son armoire débordante. Geneva était non seulement une modéliste talentueuse, mais elle savait également choisir avec ses soins ses confectionneuses. Les finitions de chacune de ses toilettes étaient magnifiques. Adélie n'avait jamais possédé de robes aussi belles. Et des robes, elle en avait désormais cinq pour chaque occasion : tailleur pour se déplacer en ville, de visites pour l'après-midi, d'intérieur pour prendre le thé, du soir pour sortir ou aller à l'opéra... Quelles que fussent les circonstances, Adélie avait désormais la tenue parfaite. Sa main caressa les soies, brocarts et dentelles. Le soleil du matin se reflétait sur les douces matières chamarrées, ondulant en milliers de reflets sur les broderies et pierreries.

Son regard, encore brillant, se détourna finalement pour mieux s'attarder sur les trois jolis coffrets que Marnie lui avait fait envoyer ce matin. Le premier, qui était le plus petit et le plus ouvragé, contenait quelques pièces de joaillerie. Rien d'extravagant, mais d'une élégance classique. Parfois, lui avait un jour dit sa mère, la plus grande sophistication réside dans le plus simple rang de perles. La seconde cassette renfermait une multitude de fards diaprés, du khôl d'un noir intense et plusieurs rouges à lèvres. Le dernier écrin était le plus lourd et le plus précieux. Adélie pouvait sentir les effluves du trésor qu'il cachait. Des dizaines de parfums. Elle saisit l'une des petites fioles et souleva délicatement son bouchon de liège. Inspirant doucement, elle se délecta de la douce fragrance de fleur d'oranger. Quelques gouttes sur ses poignets et derrière ses oreilles permettraient de laisser un souvenir des plus charmants à tous ceux qu'elle croiserait.

Une note accompagnait ces merveilleux présents. Marnie la conviait à prendre le thé dans l'après-midi, afin de lui présenter l'un de ses très chers amis. Peut-être un client, pensa la jeune femme. Quoiqu'il en soit, Adélie se réjouissait d'avoir l'opportunité de porter l'une de ses magnifiques toilettes. Elle se dirigea à nouveau vers sa penderie et se décida pour une robe en coton de couleur lin et aux motifs mandarine, fins et exotiques. Une large ceinture en satin orangé venait souligner sa taille gracile. Une dentelle fleurissait autour de son décolleté carré et à l'issue de ses manches trois-quarts. Un simple ruban corail noué à son cou achevait sa tenue.

Adélie se présenta chez la Marquise de Callès à quatre heures de l'après-midi. Elle était toujours autant impressionnée par la splendeur de la maison. Dès son arrivée, elle fut conduite à travers la bibliothèque. Marnie l'attendait dans le jardin d'hiver, en compagnie d'un petit homme grisonnant et moustachu. D'épaisses lunettes rondes, qui grossissaient ses yeux gris de manière ridicule, étaient posées sur un nez droit. Il portait un costume marron, trop grand pour lui et taché de craie, mais élégant. La jolie chaîne en or d'une montre à gousset dépassait de la poche de son gilet. Il s'inclina légèrement, les mains jointes dans le dos en guise de salut.


— Bienvenue, ma chère, l'accueillit Marnie. Laissez-moi vous introduire Monsieur Andria Ioannis. Andria, je te présente la comtesse Adélie de Serrelie, ma protégée.
— Enchantée, dit Adélie avec un signe de la tête.
— Tout le plaisir est pour moi, Madame, répondit Andria avec un accent chantant.


D'un signe de la main, la marquise invita deux valets de pied à leur servir un thé doux et fleuri.


— J'aurai aimé pouvoir t'offrir un café, Andria, mais la mode est telle que tous les détaillants sont pris d'assaut. Impossible de s'en procurer avant un mois m'a-t-on dit.
— Je te remercie, Marnie. C'est vrai que le café me manque, mais ce thé est délicieux. Même si je ne comprends toujours pas la manie des Courrêmois de toujours tout sucrer autant.
— Ah ! rit Marnie, Adélie et toi partagez cet avis.
— D'où venez-vous ? demanda-t-il à la jeune femme, curieux.
— Je suis née à Réveaudame. À quelques centaines de mètres de la frontière avec le Volise, d'où ma mère est originaire. Je suis donc bien Courrêmoise, même si je n'ai jamais eu un bec sucré.
— Je viens d'Hypalion. À Hylionis, consommer du sucre est un pêché. Enfin, c'est aussi vrai pour fumer, boire de l'alcool ou même simplement profiter de la vie ! plaisanta-t-il avec une pointe de rancœur.


Adélie savait qu'Hylionis n'était pas une île agréable à vivre. Toute la civilisation s'y était construite autour du culte de Pyûr. Aujourd'hui encore, le peuple craignait la prochaine éruption volcanique, signe de la colère de leur dieu, et demeurait sous le joug de son Grand Prêtre. Bien sûr, les lois y étaient archaïques et les exécutions sacrificielles quotidiennes. Cependant, Hylionis fournissait l'archipel entier en pierres de feu et les autres États fermaient les yeux.


— Adélie, changea de sujet la marquise, j'ai cru comprendre d'un de nos derniers échanges que vous vous intéressiez aux pierres d'énergie. Andria est un spécialiste du sujet.
— On peut dire ça, acquiesça l'Hylion.
— Ne sois pas si modeste. Tu as inventé le moteur à vapeur.
— Je n'étais pas seul ! rétorqua l'ingénieur. Mais oui, j'ai participé à sa création. Le défi était de pouvoir canaliser les deux pierres simultanément, tout en maintenant un environnement stable afin de pouvoir exploiter le résultat de la réaction.
— Et nous avons maintenant des trains et des bateaux à vapeur ! s'extasia Marnie. C'est incroyable tout ce que permet la science, non ?
— C'est certain, renchérit Adélie, impressionnée.
— Ce n'est pas l'avis du Grand Prêtre de Pyûr. J'ai dû m'enfuir au beau milieu de la nuit avec notre prototype. Mes collègues ne m'ont pas suivi. Ils ont dû finir dans un cratère, frissonna Andria.


Un silence inconfortable s'installa. Adélie ne savait que répondre, même Marnie semblait mal à l'aise. Finalement, il acheva leur supplice en poursuivant :


— C'est de l'histoire ancienne. Avec des si, on mettrait le monde en bouteille. Aujourd'hui, j'ai de nouveaux projets, une équipe soudée et un gouvernement plus coopératif.
— De nouveaux projets ? s'intéressa Adélie.
— Nous avons entrepris de condenser le moteur à vapeur pour créer un train de ville. Peut-être qu'Équerelle en sera équipée l'an prochain ? Nous travaillons également sur une version miniature, qui, nous l'espérons, pourra appareiller des voitures motorisées !
— N'est-ce pas formidable ? S'exclama Marnie.
— Il n'y a pas d'autre mot, appuya Adélie.


La conversation se poursuivit tout l'après-midi, si bien que la marquise proposa à ses invités de rester pour le dîner. Andria était un expert passionné. Il connaissait son sujet sur le bout des doigts et aimait le transmettre. Optimiste, il lui parla de toutes les innovations que permettraient les pierres d'énergie : des usines entièrement mécanisées, des transports accessibles à toutes les bourses, des voyages dans le monde entier, et d'autres merveilles. Son dernier défi, avoua-t-il, serait de réussir à emmagasiner l'énergie éolienne.

La nuit était tombée depuis longtemps lorsqu'ils décidèrent qu'il était temps de se quitter. Andria baisa la main d'Adélie, avec une maladroite révérence. Il lui répéta qu'il avait été charmé par leur rencontre et espérait la revoir très vite. Il s'approcha de Marnie et lui embrassa la joue. Adélie le vit lui chuchoter quelque chose à l'oreille, mais n'entendit rien d'autre que le rire la marquise.

Alors que la jeune comtesse s'apprêtait elle aussi à prendre congé, Madame de Callès lui proposa :


— Que diriez-vous de m'accompagner à l'opéra, demain soir ? On y joue quelque chose de très ennuyeux, mais ça devrait valoir le coup.
— Ce sera avec grand plaisir !

Intrigues à la Cour [1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant