Chapitre 10 - Sentence

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Marnie rayonnait, un sourire radieux accroché à ses lèvres depuis que la nouvelle était tombée. Robert d'Aurope avait remporté les élections avec une écrasante majorité, se succédant ainsi à lui-même à la tête du Télémène. La nécessité de la construction du barrage se concrétisait et la perspective de profits enthousiasmait la marquise.

Adélie l'observait, assise face à elle sous la magnifique et luxuriante véranda. La grande blonde fumait un cigare et ne semblait l'écouter que d'une oreille. La jeune femme décida alors d'aller à l'essentiel.


— J'ai surpris Ange Ravel accepter une dague de l'un des diplomates télémaques le soir de l'anniversaire du Prince. Il s'agissait encore du gros homme chauve, celui dont la joue droite est barrée d'une cicatrice.
— Une dague ? répéta distraitement Marnie.
— Une dague marquée d'un taureau.


La marquise leva les yeux vers elle. Son sourire s'était effacé. Les pupilles rétractées et les sourcils levés puis froncés, elle pinçait la bouche dans une mine réprobatrice. Elle écrasa brutalement son cigare dans le cendrier devant elle.


— Il est temps de renvoyer ce jeune intriguant d'où il vient ! Informez le prince de ses manigances et arrangez-vous pour que nous ne le revoyons plus.
— Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de risquer la colère de Son Altesse. D'autant plus qu'il est favorable à notre projet de barrage depuis qu'il a rencontré les élus.
— Vous pensez ? railla Marnie. Je ne vous paye pas pour penser, mais pour agir.


Adélie s'étonna du ton de sa protectrice et de sa figure énervée. Mal à l'aise, elle se redressa et prit le temps de choisir ses mots. Elle se demandait ce qui pouvait l'inquiéter à ce point, mais s'abstint de poser la question, optant plutôt pour un rappel des termes de leur accord.


— Vous m'aviez assurée que je serai seule juge des moyens à mettre en place. Vos terres seront vendues d'ici la fin de la semaine.
— Je vous demande maintenant de faire en sorte que Monsieur Ravel ne soit plus le bienvenu à la Cour de Courrême.


Comme la colère n'avait pas quitté le visage de la marquise, la jeune comtesse n'insista pas davantage. Elle aurait bien l'occasion d'en apprendre plus dans les jours à venir.


— Très bien, acquiesça-t-elle alors.


Marnie se détendit et la conversation se poursuivit sur la soirée du bal dans une ambiance plus sereine.


— J'ai remarqué que le Duc de Mognespéry vous tournait autour, avança Adélie. Vous intéresse-t-il ?
— C'est un bon ami.
— Comme Andria ?


L'espace d'un instant, ses iris d'un bleu glacé se délestèrent de toute lueur, perdus. Les commissures de ses lèvres tombèrent et ses paupières s'affaissèrent légèrement. Adélie regretta sa question, mais il était trop tard pour revenir en arrière. La marquise ferma finalement les yeux et poussa un long soupir mélancolique. Lorsqu'elle les rouvrit, ils brillaient de nouveau, emplis de détermination.


— Je ne peux pas lui offrir ce dont il a besoin. Je n'en suis pas capable. Alors je le soutiens dans ses projets, même si ça peut parfois le faire souffrir.


Silencieuse, Adélie hocha la tête, l'encourageant à se livrer davantage. Mais Marnie n'ajouta rien et un calme pesant s'installa. La jeune comtesse préféra donc prendre congé. L'ordre qu'elle venait de recevoir résonnait encore à ses oreilles, alors qu'elle s'éclipsait. Tout comme la menace à peine voilée. Elle avait eu tendance à oublier la précarité de sa situation. Si elle vivait aujourd'hui dans l'opulence, elle le devait à la marquise. Et ce que la Marquise de Callès donne, elle peut aussitôt le reprendre. Adélie n'avait d'autre choix que de découvrir quelque fait compromettant au sujet d'Ange Ravel, qu'elle pourrait alléguer devant Gérôme. Il fallait qu'elle le rencontre, lui seul détenait les informations dont elle avait besoin. Peut-être la renseignerait-il aussi sur les raisons de toute cette animosité. Mais quel prétexte invoquer ? délibérait-t-elle.

Intrigues à la Cour [1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant