Chapitre 5 : Solstice d'hiver

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Les premiers flocons de l'hiver, tombés en un fin voile blanc au cours de la nuit, s'étaient évaporés sous les rayons du soleil levant. Un air froid subsistait, malgré un après-midi dégagé. Pas un seul nuage ne venait menacer le bon déroulement des festivités. Dans la matinée, des agents de police avaient sécurisé les chaussées avec des barrières, le long desquelles les promeneurs s'accoudaient. Dressées le long des rues, des boutiques ambulantes leur vendaient boissons chaudes, encas et souvenirs. Une joyeuse musique résonnait à chaque coin de rue, appelant la fanfare et le cortège des saltimbanques.

Adélie était amassée, comme tant d'autres, sur la Grand-Place. Emmitouflée dans une vaste cape d'hermine couleur neige, elle fixait la scène, piaffant. À ses côtés se tenait toute sa maisonnée. Elle leur avait accordé la journée pour qu'ils puissent profiter du festival. Bavardant gaiement, eux aussi trépignaient d'impatience que le spectacle commence.

Finalement un orchestre s'installa et commença à jouer. Un doux et déchirant air s'éleva lentement, tout en nuances. Deux danseurs montèrent sur l'estrade. Ils valsaient, glissaient, se cherchaient sans se trouver alors que la musique s'intensifiait. Des violoncelles se mirent à chanter, majestueux. Un piano entonna et enfin le couple se toucha dans une empoignante arabesque. Éclose, la mélodie cessa d'être mélancolique. Elle était désormais enjouée et harmonieuse. Les corps tournoyaient, ne faisant plus qu'un. Des voix embrassèrent l'hymne, enchanteresses et le féerique ballet se poursuivit. Lorsque la note finale s'éteignit, la foule explosa dans un tonnerre d'applaudissements. Adélie avait les yeux pleins de larmes. Son regard croisa celui de Thibault, brillant. Elle s'essuya brièvement, se tourna vers les artistes et se joignit aux vivats. Le majordome, lui, l'admirait encore alors que tous s'étaient tus.


L'assemblée se dispersa rapidement. La comtesse s'excusa auprès de ses employés ; elle devait rejoindre Marnie et se préparer pour le bal. D'un signe de la main, elle les salua et les enjoignit de profiter de leur soirée, puis se hâta en direction de la demeure de la marquise. Les rues étaient bondées, mais elle se fraya un chemin facilement. Ses talons claquaient sur les pavés alors qu'elle trottinait. Un quart d'heure plus tard, elle se trouvait devant le superbe hôtel particulier. Elle toqua et la jeune bonne qui lui ouvrit la guida à nouveau jusque dans le cabinet rose couvert de miroirs. Marnie avait déjà revêtu son sublime pantalon et plusieurs femmes de chambre la coiffaient et la maquillaient.


— Vous voilà enfin, se réjouit la marquise. Comment était la parade ?
— Grandiose. Une vraie réussite.
— Bien. Vous savez, avoua-t-elle, je l'organise tous les ans, mais ne l'ai pas vue une seule fois. Allez, ne nous mettez pas en retard.


Elle se laissa entraîner derrière le paravent par l'une des caméristes. Elle se déshabilla puis enfila sa robe de bal. Curieusement confortable, elle épousait son corps comme une seconde peau. Adélie caressa la soie brodée de perles roses, se l'appropriant. Audacieuse, affriolante même, elle n'en restait pas moins sophistiquée. La domestique l'invita ensuite à prendre place face à un miroir. Elle s'assit dans un grand fauteuil de velours argent et se détendit. La jeune servante céda alors sa place à Marnie, qui détacha le chignon d'Adélie avec délicatesse. Ses doigts s'engouffrèrent dans la somptueuse chevelure châtain, la caressant. Elle replaça quelques mèches, dégageant le visage de sa jeune protégée.

D'un geste de la main, elle fit signe à une maquilleuse de s'approcher. Une femme d'un certain âge s'avança, une épaisse mallette sous le bras et des dizaines de pinceaux à la ceinture. Le coffret s'ouvrit sur une large collection de fars bigarrés. Elle saisit l'un de ses pinceaux et le plongea dans l'un des pots, avant d'apposer une ombre prune sur les paupières de la jeune comtesse. Elle l'estompa ensuite légèrement, puis jonglant avec ses pinceaux, ajouta un voile incarnadin irisé, brillant de mille feux. Une étrange poudre noire aux reflets bleutées vint orner ses cils, agrandissant son regard. La domestique tamponna une poudre nacarat sur ses pommettes. Enfin, elle appliqua une crème groseille sur ses lèvres.

Intrigues à la Cour [1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant