- Orel, Orel, réveille toi...

- Mmh...

- Orel, c'est le mec pour ta fille, réveille toi putain !

Aurélien se relève d'un bond du canapé dans lequel il végète depuis plusieurs jours et attrape le téléphone que Guillaume lui tend. D'une voix particulièrement plus traînante que d'habitude, le plus jeune répond à son interlocuteur, se redressant sur le canapé.

- Ouais...? Oui, oui, c'est moi... Non... Euh... J'sais pas. La voir ?

Guillaume observe son meilleur ami adossé contre le plan de travail de la cuisine, l'air soucieux. Ses sourcils sont froncés, ses bras croisés et ses yeux perçants fixent Aurélien depuis le début de la conversation téléphonique. Il ne le sent absolument pas concerné et ça énerve Gringe au plus haut point, il aimerait pouvoir le prendre par les épaules et le secouer jusqu'à ce qu'il daigne enfin montrer un quelconque ressenti quant à la situation. Bordel, c'est sa fille, quand même, non ? Il pourrait quand même y montrer un peu d'intérêt !

- Euh, j'suis obligé d'y aller ? ... d'accord, ouais... Ouais, je note au cas où...

Aurélien attrape un post-it ainsi qu'un stylo publicitaire qui traînait sur la table et griffonne une adresse.

- Et, euh... comment elle s'appelle ?

Le plus vieux se redresse et s'avance, curieux de connaître le prénom de celle qu'il a baptisée dans sa tête mini Orel.

- Okay, merci, je vous rappellerai demain, alors... ouais... au revoir.

Aurélien pose le téléphone sur la table et se tourne pour croiser le regard concerné de son ami.

- Elle s'appelle Naomi, dit-il, le plus simplement du monde.

- Naomi...

- Ouais... C'est joli, j'aime bien.

Une douce chaleur envahit soudainement Guillaume qui laisse échapper un petit sourire. Il regarde son ami qui semble perdu dans son univers, il aimerait bien être dans sa tête pour avoir une idée un peu plus précise de ce qu'il pense.

- Il me demande si je veux aller la voir.

- Et ?

- Bah, j'sais pas, j'crois pas que ça soit une bonne idée.

- T'as pris ta décision si je comprends bien...

Guillaume observe attentivement toutes les micro expressions de son meilleur ami, espérant en trouver une qui trahirait une envie inconsciente d'aller la voir et de s'en occuper. Mais il hoche la tête, il n'ira pas la voir. Il voudra pas la ramener ici et l'élever et ça brise le coeur du plus vieux qui à l'impression de revivre l'abandon de son père une nouvelle fois.

Bien sûr, Gringe comprend qu'il s'est pris sa paternité surprise comme une grosse claque dans la gueule, mais tout de même, putain ! Il est prêt à la laisser grandir en famille d'accueil parce qu'il a déjà fait claquer un cactus ?

- Tu veux pas réfléchir encore un peu, Orel ?

- Putain, ça sert à quoi ? J'ai jamais signé pour ça, moi ! J'veux pas d'un gamin qui va me niquer mes nuits, mes journées, ma thune, putain Gringe, je pourrais plus aller me mettre une mine quand je veux avec les potes !

- Mec, t'as 30 ans, tu crois pas qu'il est temps de trouver une autre aspiration dans ta vie que de te bourrer la gueule en écoutant Claude raconter ses trucs de cul ?

- C'est toi qui me dis ça, Guillaume ? Toi, le mec qui baise que des putes parce qu'il à trop peur de se laisser véritablement aimer par quelqu'un ? Laisse moi rire, putain. Tu serais autant incapable que moi d'élever un gosse correctement alors juste ferme ta gueule et arrête de me juger.

- T'es qu'un putain d'égoïste, Aurélien. T'es prêt à abandonner ton enfant juste parce que t'es qu'un putain d'égoïste et que tu donnes plus de valeur à des soirées de beuveries qu'à ta propre fille...

Sur ces mots glaçants de vérité, Guillaume quitte la pièce, le pas agacé et le Coeur désolé. La porte de l'appartement claque et Orel entend au loin son ami descendre les marches de l'escalier deux à deux, le laissant seul face à ses responsabilités.

Le plus jeune prend le post-it où était noté l'adresse de la famille d'accueil de Naomi. Il l'observe, le plie, le déplie, l'aplati, le replie puis le déplie avant de relire plusieurs fois ces quelques lignes bourrées d'importance.

7 rue Lausanne,

14000

Caen

L'atmosphère de la situation rend Aurélien fébrile et c'est les mains tremblantes qu'il attrape son téléphone posé sur la table et qu'il y tape l'adresse dans google map. Le temps que met l'application à calculer la distance qui le sépare de la chaire de sa chaire lui semble être une éternité, comme si une fois connu, il ne pourrait nier l'itinéraire qui mène jusqu'à elle. Les secondes passent lentement, il se ronge les ongles et ne peut empêcher sa jambe de trembler. Il y dépose une main moite pour tenter de la calmer, mais rien n'y fait. Ses yeux fixent l'appareil qui mouline et son coeur rate un battement quand le diagnostique tombe enfin, irrévocable.

34 minutes à pied et 10 en voiture.

En s'allumant une cigarette qu'il à piqué dans le paquet de Gringe, Aurélien repense aux mots durs que ce dernier lui à balancé à la gueule quelques minutes auparavant. Sa fierté l'empêche de lui donner raison, pour qui se prend-il à juger sa vie comme ça ? Il le pensait être de son côté, mais derrière ses apparences de pote compréhensif et à l'écoute, Aurélien se rend compte qu'il a un avis bien précis sur la situation et sur comment le plus jeune la gère...

Les volutes nocives de la clope emplissent ses poumons d'un peu de réconfort et Orel se dit qu'il faudrait peut-être arrêter de fumer autant si jamais, si jamais, il disait oui. Le brun regarde tout autour de lui et note mentalement que leur appart n'est absolument pas pratique pour accueillir un bébé de dix mois... C'est le bordel constamment, y a des chips qui datent de la semaine dernière partout sur la table, leur cendrier c'est une boite de conserve et ça fait une semaine qu'il doit jeter le bouquet de fleurs que sa mère lui a rapporté histoire d'égayer un peu le taudis dans lequel vit son fils de trente ans.

Et puis d'ailleurs, ça ressemble à quoi un bébé de dix mois ? Est-ce qu'elle parle déjà ? Il regarde alors son téléphone quelques sites internet qui regroupent des informations sur les caractéristiques d'un bébé de dix mois et découvre qu'il sait faire au revoir avec la main.
Cette pensée lui sert le coeur et le jeune homme imagine une petite fille qui lui ressemble agiter sa petite main devant lui.

Aurélien attrape alors son téléphone et compose un numéro. Ca sonne, il porte l'objet à son oreille en attendant que son interlocuteur décroche enfin. Il tire la dernière latte de sa cigarette et l'écrase dans le cendar improvisé devant lui. Ca décroche.

- Maman ? On peut parler un peu ?

NaomiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant