L'embuscade, 18h32.
Claude, un pied sur la table et l'autre parterre, mime avec une classe inégalée et en des gestes très évocateurs sa meilleure partie de baise devant le regard amusé de ses quatre amis. Ils sont tous là, Skread, Ablaye, Gringe et Orel, chacun une pinte dans la main, écoutant d'une oreille distraite une histoire qu'ils connaissent déjà par coeur.
Mais malgré cette ambiance bon enfant, la petite moue tracassée d'Aurélien dénote un peu. Il fixe la mousse de sa bière s'évanouir tout doucement dans son baron et ne prête qu'une oreille distraite aux épopées licencieuses du truculent Deuklo. Cela va sans dire, rien de tout cela n'échappe à Gringe qui passe gentiment sa main dans le dos de son meilleur ami pour lui témoigner silencieusement son amitié et peut-être un peu plus.
Cinq jours ont passé depuis la rencontre avec la petite fille et depuis, presque tous ses doutes se sont envolés. Non pas comme par magie, mais après de longues soirées de passer à peser le pour et le contre (à développer), le jeune homme prit finalement la décision de se lancer, avec le soutien qu'il sait sans faille de son meilleur ami / colocataire / âme frère.
- Bon Orel, qu'est-ce qui te tracasse ma poule ?
Claude le tire de ses pensées et c'est avec un petit sourire gêné qu'il relève la tête pour lui répondre. Gringe ne le quitte pas des yeux, il sait combien Orel est préoccupé en ce moment mais il sait aussi que c'est ce soir qu'il à décidé d'annoncer à ses amis la nouvelle.
- Non ça va, ça va... J'avais un truc à vous annoncer...
- T'es enceinte !
- Putain, mais ta gueule Claude ! s'énerve Ablaye se doutant à son visage fermé qu'Aurélien est sur le point de dire quelque chose qui lui tient à coeur.
- Nan ! C'est Gringe qu'est enceinte !
- Putain, mais ta gueule Claude ! Renchérit Guillaume, plus gêné que vexé de l'allusion que son ami vient de faire.
- Bon fermez là et laissez le parler.
Le silence se fait autour de la tablée après la prise de parole de Matthieu. Tous les yeux se posent sur Orel, certains d'une manière plus douce que les autres. Il se sent épris d'un courage infaillible et décide de prendre la parole lorsqu'il sent la main de Gringe se poser sur sa cuisse, en guise d'encouragement, sa paume est chaude et c'est très agréable.
- Bon voilà, euh... J'ai... comment dire... J'ai une fille.
- Une fille ? S'étonne Ablaye.
- Bah ma couille, je l'attendais pas celle-là...
- Ouais... Pour la faire courte, y a genre un an j'ai pécho une nana en vacances et je savais pas qu'elle était tombée enceinte sauf que là, j'sais plus quand y a un type qui m'a appelé pour me dire que cette nana avait un accident de voiture et que comme elle avait pas de famille bah... j'étais la seule famille qu'elle avait...
- Putain, mon pote... et comment tu vis ça ? Demande Matthieu qui n'est maintenant plus le seul à avoir des enfants dans la bande.
- Bah... C'était chaud, et puis Gringe m'a convaincu que j'étais capable de m'en occuper...
En disant ces quelques mots, il se tourne quelques instants vers Guillaume pour le regarder et pose sa main sur la sienne. Le plus vieux ne s'y attend guère mais la surprise est appréciable. En quelques instants ils entrelacent leurs doigts, sans se dire un mot.
- Bien sûr que t'en es capable ma poule ! Allez, comment elle s'appelle cette petite ?
- Naomi.
- Bon, bah je propose qu'on trinque à la santé d'la gosse d'Orel ! TAULIERE !!! Hurle t-il à Pauline qui lui fait un doigt d'honneur depuis le comptoir, cinq pintes d'embuscade s'teuplait, tu me les mets sur mon ardoise ma belle !
*
Une petite demie heure plus tard et avec encore plus d'alcool dans le sang que tout à l'heure, Orel et Gringe sont dehors, partageant une vogue menthol piquée à une pétasse en terrasse. Ils ont bu, ils ont froid mais ces deux imbéciles sont sortis en tee-shirts alors forcément, ils grelottent et se plaignent du froid en jurant contre cette putain de ville de merde où il fait jamais bon.
Alors que Gringe tend la clope à son ami, ce dernier lui lance des oeillades timides. Il à quelque chose à lui dire mais ne sait pas comment le faire et ça, le plus grand le sait car il le connaît par coeur. Orel se mordille la lèvre inférieur, s'arrachant les petites peaux et n'ose pas croiser le regard vert émeraude de Guillaume.
- Bon, t'as un truc à me dire non ?
- Ouais, euh... bah j'suis désolé.
Ah bah c'est pas trop tôt, se dit le plus vieux en se calant contre le mur. Il regarde Aurélien, en attendant un peu plus de sa part en terme d'excuses mais l'autre ne poursuit pas.
- C'est tout ?
- Bah... Oui, enfin non...
- Regarde moi Orel, j'vais pas t'bouffer...
Les yeux sombre d'Orel croisent enfin ceux du plus vieux. Ce dernier soutient son regard, se perdant dans l'immensité de ses pupilles.
- J'aurais pas dû te parler comme je l'ai fait... J'regrette. J'étais un peu con.
- Un peu ?
- Un peu beaucoup.
La cigarette, chanceuse, passe des lèvres de Guillaume à celles d'Aurélien qui tire dessus, toujours pensif.
- Tu m'en veux encore ? J'ai dit ça parce que j'étais complètement paumé, et j'avais peur et tout, putain, j'me sens con, Gringe... excuse moi...
- Putain, j'ai vraiment du mal à t'en vouloir à toi, arrête de faire tes yeux de iench battu putain...
Aurélien se sent attiré dans une étreinte plus qu'amicale. Il se laisse faire, il se dit que c'est l'alcool qui le pousse à être tactile ce soir... d'abord leurs doigts qui s'entrelacent discrètement puis cette embrassade un peu bizarre mais non moins agréable. Ils restent dans les bras l'un de l'autre un instant qu'ils jugent trop court mais qui l'est beaucoup trop pour n'être que cordiale. Guillaume profite allègrement d'avoir Aurélien tout près de lui, sa tête contre son torse. Ce dernier quant à lui à fermé les yeux, appréciant la chaleur que dégage le corps de son meilleur ami. Il s'y réchauffe, et c'est la raison qu'il choisit pour se justifier d'être aussi bien dans ses bras. Il écoute les battement de son coeur qui s'emballe un peu, ça doit être le froid, imagine le plus jeune.
- T'as le coeur qui bat.
- Ouais, bah heureusement, non ?
- Putain, oui bien sûr heureusement... mais j'sais pas, c'est genre un peu apaisant. J'peux faire mon fragile, Gringe ?
- Mec, la fragilité c'est l'essence même de ton existence. Mais vas-y, j't'en pris.
Aurélien se détache un tout petit peu de Guillaume pour le regarder, outré. Le plus vieux ne peut s'empêcher de rire devant la mine vexée et de surcroît adorable de son meilleur ami.
- Vas-y ta gueule c'est à cause de l'alcool... Merci d'être là pour moi et de m'avoir promis que tu seras pour Naomi aussi...
- Je la connais pas encore cette petite bonne femme mais si c'est ta fille, tu sais très bien que je l'aime déjà...
- Et c'est moi le fragile ?
- Connard !
- Tu crois que notre vie va genre beaucoup changer ?
- Bah de ouf, ouais... mais bon, on en a déjà parlé...
- T'es pas obligé de subir ça avec moi... enfin, pas subir mais... je t'embarque là dedans alors que t'as rien demander.
- T'inquiète, j'me dis que... finalement, c'est peut-être elle qui va nous faire le plus grandir. On va s'en sortir, Orel. Tu vas être un super daron, j'en suis sûr.
- Merci, Gringe... je t'adore, tu sais...
- Putain de fragile !