iv. l'oeil du danger

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« C'est une considération troublante que de se murmurer que l'on a connu la mort. Je sais que beaucoup attendaient que je conte les légendes de la lumière blanche et du tunnel éclairé. Ils attendaient que je les réconforte pour que quand leur tour à eux viendrait, ils connaîtraient la vérité. Egoïstement, ils attendaient de moi, des réponses à leurs questions. Mais je n'ai rien vu. Ni de lumière, ni de tunnel. Je n'ai rien senti non plus. Rien entendu. Rien vécu. Seulement, une chose me manifestement étonnante s'éveilla dès mon réveil. Quand je suis revenu à moi, que j'ai pris conscience de ce qu'il s'était passé, la place de la mort dans mon esprit avait totalement vrillé. Ce n'était plus une destination pour moi, et l'idée de mourir, appartenait déjà presque au passé. J'avais ressenti comme un frisson qui me chuchotait que j'avais fait les choses à l'envers, que ma vie débutait après ma mort. Quand je me suis réveillé du néant, une chose en moi avait changé. Je ne savais pas encore que cette impression n'était qu'un avant-goût de ce qu'il se développait en moi au même moment. J'ignorais qu'à ce moment-même, mon existence était devenue précieuse, indomptable mais surtout dangereuse. J'ignorais qu'à l'intérieur de mon crâne, mon cerveau changeait, évoluait et mutait. Alors que je pensais avoir vécu ce qui fut le pire, il m'était impensable que je coure un danger bien plus conséquent que ce que j'avais déjà vécu. Et peut-être qu'à ce moment-là, si je l'avais su, j'aurai peut-être voulu que l'on ne me réanime pas. »

Azaël s'anima comme un nouveau-né dans une chambre éblouie par la lumière criarde des néons de l'hôpital. A peine eût-il ouvert les yeux qu'il avait saisi que quelque chose l'avait changé à jamais. Seulement, il ne souvenait de rien. Son esprit s'était transformé en terrain vague et désert. Comme après l'explosion d'une bombe atomique, il ne restait que des cendres dissipées un peu partout dans sa mémoire. Il fixait les hauteurs des plafonds en plâtre, sans se débattre avec sa mémoire qui venait de flancher. Alors que la vie prenait de nouveau place dans son corps, il scruta son enveloppe charnelle, abîmée par l'accident et le choc brutal qui l'avait engendré. Ses mains, ses bras, ses jambes, pas une seule partie de son corps n'avaient pas été charcutée par le bitume grumeleux sur lequel il avait été projeté. Azaël se perdait dans son analyse interne quand une femme vêtue d'une large blouse blanche s'approcha du lit dans lequel il demeurait quasiment inerte.

- Vous êtes un chanceux.

Azaël ne put répondre. Son esprit était encore trop brumeux pour tenir une conversation, aussi banale pouvait-elle être.

- Savez-vous ce qu'il vous est arrivé ?

Il se souvint alors d'un détail, celui des phares qui foncèrent droit sur lui.

- J'ai eu un accident, enfin, je crois.

- C'est cela. Mais vous avez été rapidement pris en charge vous n'avez plus à vous inquiéter maintenant. Je vais néanmoins avoir besoin d'informations supplémentaires, pouvez-vous m'accorder une minute ?

Azaël acquiesça de la tête, sachant pertinemment qu'il ne pourrait pourtant répondre à aucune de ses questions.

- Bien, bien.

Elle sortit un petit carnet et un stylo hors de sa blouse, prête à noter.

- Je suppose que tout cela fût éprouvant, commençons donc par le début. Comment vous appelez-vous ?

Azaël tourna la tête défaitiste. Il n'avait aucune idée de qui il était.

- Je n'en sais rien. Je ne m'en souviens plus.

Le médecin appuya un regard assez alarmant sur le garçon.

- Vous ne vous souvenez plus de qui vous êtes ?

naître homme mourir humainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant