Furtif séjour

1.2K 49 13
                                    

Darcy dormait toujours aussi mal. Pourtant, le domaine semblait si calme depuis le départ de leurs invités. Il en avait profité pour avoir une conversation privée avec Georgiana et lui expliqua que Charles avait pour elle une affection complètement fraternelle. Elle sembla rassurée et flattée. Mais comment savoir ce que pense une jeune fille de cet âge?

Avant son départ, Bingley lui avait confié, qu'une fois installé à Netherfield, il espérait avoir la visite de ses voisins et Darcy l'avait taquiné en lui demandant si ce n'était pas plutôt d'une voisine en particulier, il a rougi mais n'a pas démenti.

Miss Jane Bennet. Charles l'aimait-il encore? Lui qui n'avait jamais pu conter fleurette à une même demoiselle plus d'une huitaine, voilà bientôt un an...

Un an? Pauvre Charles, qu'est-ce qu'il a dû éprouver tout ce temps sans la voir, ni avoir de ses nouvelles! Et cela en grande partie par sa faute. Qu'avait-il fait à son ami?

En allant le rejoindre dans la demeure du Hetfordshire, en plus de se pencher sur le bail et le bien, il pourra observer plus consciencieusement la demoiselle, si bien sûr celle-ci était toujours disposée à les revoir. Alors il pourra vérifier si cette Miss Jane avait bien pour son ami plus qu'une simple inclination ou un intérêt financier... comme Elisabeth le lui avait si vivement affirmé.

Oh Elisabeth! Il avait beau essayer de se convaincre que la belle ne faisait plus partie de sa vie, elle continuait à hanter ses jours... et ses nuits. Ses yeux pétillants, son sourire malicieux, sa vivacité, ses lèvres, leurs baisers...

Elle l'avait rejeté deux fois, deux fois son cœur avait failli se briser mais malgré tout il la comprenait. Et il ne doutais pas qu'elle ait gardé le secret comme lui l'avait gardé.

Quelles ont été ses souffrances et ses émois? Depuis tant de semaines, il n'avait aucune nouvelle d'elle. Le Hertfordshire est loin et il n'avait eu aucune raison de s'y rendre.

Ses parents lui ont-ils trouvé un mari afin de lui assurer stabilité et respectabilité? Avec son charme et son regard, il ne doutait pas que bon nombre de courtisants se pressaient aux portes de Longbourn, au grand bonheur de sa mère. Cette épreuve l'a-t-elle rendu plus raisonnable, a-t-elle suivi les conseils de ses proches?

Darcy était soulagé à l'idée qu'elle ne saura jamais ce qu'il avait fait. De quel droit avait-il osé s'immiscer dans sa vie familiale? Il savait que les Bennet ne pourraient jamais le rembourser et de ne pas le savoir leur permettait de vivre sans ce poids supplémentaire. Ils ne leur étaient même pas redevable car Wickham était son problème et non le leur. Darcy ne voulait pas être une ombre dans la vie d'Elisabeth qui n'avait rien demandé. Il payait juste le prix de son orgueil et de sa suffisance.
Mais maintenant qu'il avait promis de retourner à Netherfield, il risquait fort de la revoir.

————

Deux cavaliers trottaient sur la route de Longbourn, le blond joyeux et excité, le grand brun taciturne et absorbé. Mais tous deux se posaient à peu près les mêmes interrogations: Sera-t-elle chez ses parents? Quel accueil lui fera-t-elle? Son cœur tiendra-t-il?

Bingley n'avait pas voulu les annoncer et Darcy n'aimait pas l'idée qu'ils arriveraient ainsi à l'improviste.

- Merci Darcy, je sais que vous ne souhaitiez plus revoir la famille Bennet, aussi que vous acceptiez si facilement de m'accompagner me remplit d'aise! J'espère seulement que vous ne vous querellerez pas trop avec Miss Elisabeth!
- Me quereller?
- Oui comme à Netherfield l'année dernière, et même lors du bal, vous vous regardiez comme deux chats prêts à se battre! Vous souvenez-vous?
- C'était il y a bien longtemps.
- Maintenant que vous le dites... il est vrai qu'à Lambton et Pemberley votre comportement semblait un peu plus assagi envers elle, même si le soir avant votre départ je me souviens que vous portiez le masque des mauvais jours*! Taquina-t-il.
- Le masque des mauvais jours?
- Oui, un peu comme aujourd'hui!

Ce masque dont parlait Charles était celui que Darcy revêtait lorsqu'il espérait cacher ses émotions mais il ignorait jusqu'alors qu'il pouvait être si évident aux yeux d'autrui.

« Mr Darcy est venu! »
Cette surprise faisait presque oublier à Lizzie la joie indéniable de Bingley à la vue de sa sœur Jane.

En effet, quand le maître de Pemberley apparut dans l'embrasure de la porte juste après que son ami soit entré, son cœur rata un battement. Il se tenait droit et plein de prestance, encore plus séduisant que dans son souvenir. C'est alors que la couleur qui avait quitté le visage d'Elisabeth y apparut plus ardente, ses yeux brillèrent de joie à la pensée que les sentiments de son ancien fiancé clandestin n'avaient peut-être pas changé.

Mais le regard de cet homme fut terriblement froid et distant. Durant le temps de leur visite, il parut hautain comme jadis et peu soucieux de lui plaire.

Elle se sentit désappointée et en éprouva de l'irritation contre elle-même. « À quoi devais-je m'attendre ? » Se dit-elle. « Je l'ai repoussée deux fois, ce qui est déjà bien trop pour un homme, l'est encore plus pour une personne de sa condition. Petite péronnelle, » se dit-elle, « c'est mon propre orgueil qui me punit maintenant! »
« Mais alors, pourquoi est-il venu? Pour peu, je croirais qu'il n'était là que pour chaperonner son ami! »

Deux jours plus tard, lors du dîner trois services tant attendu par Mrs Bennet, l'ambiance fut en demi teinte, un camaïeu de roses pour le côté de la table où s'étaient installés côte à côte Jane et Charles et de teinte grisâtre pour celui où mangeaient la maîtresse de Longbourn et celui de Pemberley.

Lizzie, elle, était partagée entre la joie face à l'avenir heureux qui se dessinait doucement pour sa sœur et la tristesse à la pensée que le sien était bien moins certain.

Et Darcy repartit comme il fut venu.

——————————————-

(*) petit clin d'œil aux romans Lady Helen de Alison Goodman, Le Club des Mauvais jours. J'avoue que je serais bien tentée d'en faire aussi une fanfiction maintenant que j'ai lu les trois tomes ! :-p
Dans ses romans, il y a déjà quelques clins d'yeux à Austen...

Et si... (Orgueil et Préjugés)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant