Black Paradise

Chapitre 4

Il ne dormait pas. Comment le pouvait-il ? L'autre, lui, s'était jeté dans les bras de Morphée aussi vite que partaient ses poings, après plusieurs verres de cette bouteille qu'il aimait tant. La maison était silencieuse, mais ça ne voulait pas dire qu'il était en sécurité. L'autre pouvait se lever à tout instant, et s'il l'entendait ou même le voyait, rien ne le sauverait. Comme chaque soir.

L'enfant se tourna du côté du mur, lentement, ce qui ne l'empêcha pas d'afficher une grimace de douleur lui rappelant les hématomes qu'il avait récoltés sur le torse. Son visage n'était pas mieux, avec le coquard qui ornait d'une couronne violette son œil gauche, mais l'eau fraîche lui avait fait un grand bien de ce côté-là. Encore des souvenirs à ajouter à sa collection morbide. La nuit était tombée depuis longtemps dans la cave aux murs décrépis qui lui servait de pièce à coucher, mais il n'avait pas envie de partir malgré ses paupières tombantes qui auraient pu faire penser le contraire et la lourdeur de ce corps meurtri qui lui hurlait de s'en aller pour de bon. Non, il ne voulait pas, pas encore du moins. Sous les draps sales et troués, ses petits doigts tremblants se recroquevillèrent pour venir se serrer avec le peu de force qui lui restait, alors qu'un liquide vint lui brouiller la vue. Pourquoi, pourquoi tant de haine rejetée sur lui ? Pourquoi donc ne l'aimait-il pas ? Qu'avait-il fait de mal pour que toute cette violence soit jetée de plein fouet sur lui, chaque jour de cette vie déjà trop près de son terme ? Il refoula le sanglot qui montait dans sa gorge et essuya vite fait ses yeux de sa manche tâchée, serrant les dents sous la souffrance du geste. S'Il le voyait ainsi, il était bon pour une autre correction !

La cave était déserte, il n'y avait que le matelas sur lequel il dormait et une vieille commode cassée, abandonnée elle aussi à son triste sort depuis bien longtemps. « Comme moi », pensa-t-il en se détournant légèrement pour la regarder, distinguant à peine sa forme branlante dans la pénombre. Un vieux meuble, voilà ce qu'il était. On le laissait croupir ici parce qu'il n'y avait plus de place en haut, avec les autres, parce qu'on avait pris leur place et qu'ils étaient venus au monde au mauvais moment. Triste sort paradoxal.

La cave jusque-là plongée dans les ténèbres s'illumina brusquement, surprenant le jeune garçon qui se tourna instinctivement vers le seul carreau de liberté, la petite fenêtre rectangulaire placée dans un coin en haut de la pièce. Un long rayon de lune avait réussit à percer les noirs nuages du dehors, traversant les barreaux de la prison retenant l'enfant pour venir illuminer l'insalubre endroit de son voila spectrale. D'un coup, l'insalubre endroit prit une allure presque féérique tandis que dans le ciel, désormais délaissé par les nuages, brillaient plusieurs petits points éclatants, plus ou moins fort, venant accompagner la danse nocturne de la reine de la nuit. Ensemble, ils semblaient appeler l'enfant, qui ne pouvait détacher son regard de la fenêtre au dehors, et lui-même avait l'impression qu'on lui soufflait à l'oreille des mots inconnus pourtant synonymes d'espoirs. La lune n'était presque jamais là, souvent la Toison était voilée de nuages ou alors il s'endormait trop vite, ne faisant pas attention à elle. Sa seule amie ici, pourtant.

Il ne su pas pendant combien de temps il était resté là, à contempler la seule lumière qui l'illuminait ce soir-là, de ses yeux émerveillés d'enfant, mais des pas grinçants venant de la pièce juste au dessus le ramenèrent brutalement à la réalité. Aussitôt, comme un signal d'alarme, tout son corps se mit à trembler, et dans un geste qui se voulait protecteur il rentra aussitôt la tête sous les draps. Les yeux durement fermés, il se mit à prier un Dieu invisible que ce n'était pas Lui, qu'il n'allait pas revenir pour se défouler, les poings agrippés au bord des draps qui agissait dans sa tête comme un invincible mur d'acier. La peur, ce sentiment irrépressible et bien trop connu, venait de faire son retour théâtral dans le corps de l'enfant.