Chapitre 7

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La salle ne fut jamais autant comblée que ce soir-là. Cris et bavardages en tout genre fusaient de partout, l'alcool abondait dans les verres remplis à une vitesse plus que déraisonnable, et les bruits de bagarres d'ivrognes résonnaient déjà dans les bas-fonds du hangar, la tournée ayant à peine commencée. En voyant tout ce beau monde s'agiter, Eden avait vite compris que l'annonce de son fameux face-à-face avec Callie avec fuité d'une manière qu'il ignorait, et que la soirée leur serait entièrement réservée. Ce soir, il n'y aurait qu'eux sur le ring du destin.

Assis dans une salle attenante au hall principal du hangar, le jeune homme tentait de faire abstraction du brouhaha extérieur pour rassembler ses dernières pensées guerrières, avec, pour la première fois, une certaine difficulté s'imposant d'elle-même dans son esprit fermé habituellement à double-tour. Sans cesse, la photo de la mystérieuse Eva revenait le hanter comme l'une de ces chansons ringardes que l'on a toujours en tête, incapable de l'en chasser de son propre chef. Cette mission était tellement inhabituelle qu'il ne cessait de penser à elle, à cette fille, à son visage, à quel pouvait être l'objet de cette surveillance arrivée soudainement dans sa vie parfaitement organisée. Mécontent d'être autant dérangé par une chose qu'il jugeait futile, il s'occupait les mains comme il le pouvait, nouant des bandages autour de ses poings d'une manière méthodique et appliquée, dans un silence digne d'un sanctuaire... si l'on exceptait le tohu-bohu derrière la porte. Son duel approchait, mais il restait calme et serein, entièrement dévoué à la cause qui l'attendait. De quoi pouvait-il avoir peur ? Certes il n'avait pas eu d'opposants dignes de ce nom depuis un bail, mais ce n'était pas cette fille qui se prenait pour Wonder Woman qui allait pouvoir faire quoi que ce soit. Tout son être frétillait d'impatience de monter sur le ring du combat, de renaître pendant quelques instants, de sentir le vent de la liberté lorsque ses doigts iraient fendre l'air pour frapper, le faisant se sentir invincible comme jamais. Son visage pourtant angélique gardait son habituel air froid et impassible, mais il sentait déjà qu'en lui bouillonnait une colère sourde et cruelle, enflammant ses entrailles et galvanisant son excitation, profondément enfouie depuis sa dernière « mission ». Oui, il n'y avait vraiment que ça qui lui faisait du bien, savoir qu'il pouvait pendant un moment manipuler la vie d'un autre pour combler ce trou qu'il avait à la place du cœur...

Si seulement il n'y avait pas eu cette fille qui obsédait ses pensées.

On toqua à la porte. Eden stoppa ses mouvements, tournant sa tête vers l'entrée où Faeniks se tenait, appuyée au chambranle. La clope toujours au bec, elle s'était plaqué un demi-sourire mesquin sur le visage, dissimulant toute trace de la nervosité rencontrée le matin même. Quelle belle actrice, presque aussi douée que lui. Il lui semblait que leur conversation n'avait jamais eu lieu, quelle n'était qu'un mirage dans son esprit embrumé, mais la photo et la mission étaient toujours bien présentes, rappelant ce qu'il devait accomplir.

« Paré ? Ca va être à toi, les gars sont comme des fous ! Je crois que la salle n'a jamais été aussi remplie. »

Ce n'était un secret pour personne, Eden était connu pour être une sorte de gardien du hangar, le mystérieux associé de Faeniks qu'il valait mieux éviter de se mettre à dos. En revanche, ses capacités au corps-à-corps étaient un véritable mystère, que tous voulaient découvrir avec envie alors qu'il se retrouvait sous le feu des projecteurs, pour la première fois. Sous la lumière. Une sensation qu'il n'avait jamais éprouvé, qui lui était totalement étrangère, nouvelle. Enfin, qu'importe, ce n'était que la lumière faiblarde d'un monde souterrain qui lui était encore accessible, il pouvait faire avec, au moins pour ce soir.

Il se leva, dépliant son long corps fin et musclé, et inspecta ses bandages une dernière fois. Il n'avait pas perdu la main de ce côté-là, ils étaient toujours soignés et parfaitement dépliés sur ses avant-bras. Il fallait que ce soit parfait, que tout soit sous son contrôle. Sans un mot, il dépassa Faeniks pour rejoindre la salle principale, ses cheveux de jais attachés pour l'occasion flottant derrière lui. Brusquement, alors qu'il s'avançait d'un pas calme et assuré, le temps sembla s'arrêter autour de lui. Les commérages se turent, les regards convergèrent vers un seul point : lui, le mystérieux Eden, indéchiffrable mais tout autant attirant, magnétique – pour les hommes comme les femmes. Le silence tomba, lourd de sens et de tension, comme si un orage s'apprêtait à éclater au dessus des têtes déjà pleines de sueur.

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