XI. Jouer

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... ça m'avait manqué.

La salle dans laquelle je me trouvais était sans aucun doute mon endroit préféré sur la planète. C'était une pièce carrée pas très grande, entièrement blanche, lumineuse et très paisible. Au milieu se trouvait un grand piano à queue noir.

Cette salle était insonorisée, on pouvait y jouer quand bon nous semblais. À chaque fois, j'avais l'impression d'être dans un film, je m'approchais lentement du piano, posai une main sur sa grande plaque noire, l'ouvrait et regardait un instant les centaines de cordes.
Puis je m'asseyait sur le tabouret noir et caressait du bout de mes doigts les touches.

Je commençais toujours par réviser.
Travailler en premier,
S'amuser ensuite.

Les gammes et les exercices s'enchaînaient, certains avec plus de mal que d'autre, pendant une éternité, jusqu'à que la pulpe de mes doigts devienne rouge.

j'ai le droit de jouer ce que je veux maintenant.

Alors seulement, je commençais à jouer des morceaux vieux de plus de mille ans. Je les avait appris sur des partitions que mon père avait offert à ma mère.

Et quand je jouait, mon coeur dansait, j'oubliais tout, j'étais transportée dans un autre univers.
Le piano m'emmenait vivre au temps de la révolution industrielle, des chevaliers, des Terriens... pendant un cours instant, j'étais quelqu'un d'autre, autre part.

Mais je ne jouait pas parfaitement bien, et quand un doigt glissait sur la mauvaise note, je retombait à chaque fois violemment sur mon tabouret noir.

Mozart, Chopin, Bach... J'étais perdue dans des millénaires de savoir perdu que seules quelques personnes perpétuent encore. 
Ma mère voulait que personne n'oublie.

ne pense pas à elle.

Et elle m'avait fait aimer le piano déjà toute petite. Elle jouait chaque matin, chaque soir.

ne pense pas à elle.

Elle ne jouait pas seulement des pièces très anciennes, mais aussi des pièces récentes.

tu ne jouera jamais aussi bien qu'elle.

ne pense pas à elle.
je ne jouerait jamais comme elle.

jamais.

Je jouait une nocturne de Chopin, elle était juste magnifique. Sombre, triste, mais avec des touches de couleurs, j'adorais la jouer.

Souvent, je l'avait en tête et je la jouait dans mon esprit pour me sortir de la vie de tout les jours.
trop souvent.
hier...

Chez Baihen,
c'était ça...

Soudain, le mur s'ouvrit, me tirant de mes pensées, et je sursautai en frappant les touches, ce qui fit un énorme bruit, brisant la beauté de ce morceau.

Et...
Mon père entra. Mon coeur se mit a battre très rapidement et je retenais ma respiration.

- C'est très beau.

- m..merci

papa, ne t'approche pas,
je t'en prie.

il vient..

Il ne doit pas te voir !

il vient...

Il ne semblait pas très réveillé, il marchait lentement en se frottant les yeux.
Puis, il me vit et sa tête se décomposa. Il commençai à paniquer en s'approchant de moi.
- Oh mon dieu, Aphnae ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Il prit ma tête dans ses mains, et je grimaçai de douleur.
- Aïe !

Il regarda mon visage (plein de sang et de pansements) avec un air si triste...
- Je t'emmène aux urgences.

Attends.. quoi ?
- Quoi ? Non, non, ça va !

- Tu rigoles ? Ça a trop duré, je ne peux pas te laisser te faire du mal comme ça !
- Mais c'est pas moi ! J'hurlais alors que les larmes me montaient aux yeux.

- Alors c'est qui ? Des esprits ? Arrête, il faut te soigner et régler ce problème.

Lui aussi commençait à pleurer. Mon coeur se brisait dans ma poitrine tandis que les larmes picotaient mes blessures.
- Je te le jure, c'est pas moi !

- Bon arrête, viens.
J'avais l'impression qu'il me disait ça à contre-coeur, que c'était sa dernière issue.
Il me prit le bras et me tira. Je me levai brutalement du tabouret et me pris violemment le clavier sur mes cuisses. Mais je m'en fichais, je suppliais.

- Non, non ! Je ne veux pas, s'il te plaît, je trouverais pourquoi ça m'arri-
Il me coupa la parole.
- Stop. Ça dure depuis trop longtemps, je suis inquiet pour toi !

Les larmes coulaient à torrent sur mes joues, ainsi que du sang. Mon monde s'écroulait, je savais que s'il m'emmenait aux urgences on me mettrait dans un asile. J'essayais de dégager mon bras en pleurant.
- Papa.. s'il.. te plait...

Et tout s'accéléra.
Il me tira malgré tout vers la porte, sortit, commanda un chauffeur, et me força à venir avec lui. Durant le trajet qui parut durer deux secondes alors qu'il avait en realité duré au moins quinze minutes, je me me débâtit et pleurai. Je voulait sortir, partir.
Je devenait vraiment dingue.

- Pourquoi ?
Il évitait mon regard.

- Papa, ...est-ce qu'ils vont juste me soigner ...et me laisser rentrer ?
Tu connais la réponse, Aphnae.

Ils vont poser des questions,
Papa va tout dire et je serais foutue.

Enfermée avec les fous sans même pouvoir m'expliquer.
- Je ... Aphnae...
Il ne dit rien de plus.

Je mourais de peur et c'est en tremblant que quelque temps plus tard je rentrait dans l'hôpital.
Mon père commençait à pleurer devant l'hôtesse d'accueil, en lui expliquant ce qu'il avait découvert ce matin.
- ... Et il y avait du sang sur ses mains, dans son cou...
- Sur ses mains ?

Je n'écoutais pas. Je voulais disparaître. Une mélodie de piano sombre se jouait dans ma tête.
(( Je jouait dans ma tête ))

Sans m'en rendre compte, je serrais la main de mon père et je pleurais toujours.

Et du sang coulait toujours.
Du sang.


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Merci d'avoir lu ce chapitre, j'espère qu'il vous a plu ! N'hésitez pas à voter et/ou commenter, ça me motive 🙂

Salut,
Σsther.
🌱

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