VIII. Pensées

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15h40.
Mais Aphnae,

C'était vraiment
pitoyable,

S'être posé tant de questions c'était
Ridicule,
Tu es totalement
Pathétique.
Tu exagères tout,
Pourquoi tant de haine envers...
Envers toi ?

Avoir été si faible m'énervais énormément. Pourquoi j'avais fait ça ? J'étais ridicule, tout ce que je faisais n'avait plus aucun sens, tout ce que je pensais ne m'appartenait plus, alors pourquoi lutter ? J'aurais juste dû les accepter dans l'escalier ce matin... ou alors les ignorer...

Ça changeait quoi dans ma vie au final...?
Tellement de choses.

Tu m'acceptes ?
Tu nous acceptes ?
Elle...
Elle nous entend ?
Ça change tant de choses.

Je me dirigeai lentement vers les grandes baies vitrées du salon d'où venait la lumière. En plissant les yeux je m'approchai et collai mon front contre la vitre froide.
Ce matin...
J'aurais dû les ignorer...

La lumière du jour qui traversait le verre en de fins rayons caressait mon visage et m'éblouissait. Mon regard se perdit un instant dans le fourmillement des gens en bas, dans les rues. Puis mes yeux se posèrent sur les dizaines de gratte-ciel immenses autour. Avec la lumière chaude de l'après-midi, tous ces gratte-ciel à contre-jour luisaient. Je baissai les yeux. En contrebas, à gauche, une construction grisâtre s'étalait au contraire à l'horizontale aux pieds des immeubles géants. Là-bas se trouvaient des marchés miteux et des habitations misérables, regroupées en ce bloc qui semblait s'écraser sous la hauteur des buildings. C'était une sorte de...
Banlieue ?
Ghetto ?
J'avais l'interdiction de m'y rendre. Mon père trouvait ces quartiers mal fréquentés, pauvres, et dangereux. Il n'avait pas tort, cet endroit n'était pas soumis aux mêmes règles que le reste de la ville. Là-bas vivaient les sans-abris, les sans-travail, les reclus, les rejetés... Bref, ceux dont personne ne voulait entendre parler.
J'avais toujours pensé que c'était un peu comme une décharge à humains.

Je tournai la tête, toujours contre la vitre. Un peu plus loin, à droite, on distinguait clairement un magnifique bâtiment qui surplombait toute la ville.
Le "Présidentiel" était le plus haut et le plus majestueux de tous les immeubles. C'est là où siégeaient les dirigeants, parlementaires et régisseurs de la ville. C'était un grand building d'une couleur blanche-dorée. Sur son toit se découpait une immense boule dorée surmontée de onze pointes dirigées vers le ciel, dorées elles aussi, en l'honneur des premiers colons, qui étaient onze.
De ce bâtiment, personne n'en sort, jamais. Personne n'y rentre non plus.
Officiellement...

Je relevai un peu ma tête et contemplai la fin de la ville, derrière laquelle s'étendait des centaines, voire des milliers de kilomètres de terre vierge. L'inconnu à perte de vue. Sortir de la ville ? C'était presque impossible, et idiot de toute façon. Toutes les sorties étaient bien gardées. Un simple habitant ne le pouvait pas. Il fallait occuper un poste haut placé ou être en possession d'une autorisation spéciale pour oser sortir.
Qui serait assez fou ?
Qui serait assez fou pour sortir ?

Mon père le pouvait.

Je décollais mon front de la vitre et regardai une demi-seconde le petit rond de buée qu'il y avait laissé. Puis je posai ma main sur la tablette incrustée sur le mur, près des baies vitrées. Elles s'ouvrirent dans un petit bruit et l'air froid me fouetta le visage en s'engouffrant à l'intérieur. Je sorti sur le balcon en clignant des yeux et refermai derrière moi.

Une voix métallique clama alors : "Température extérieure, six degrés."
Sans blague ?

Je pris une grande bouffée d'air et je le sentis me geler de l'intérieur, comme lorsqu'on boit de l'eau trop froide. Mes mains étaient gelées.
J'avais froid mais je m'en fichait. J'étais devenue étrangement sereine.

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