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  -Parfois, commence Juliette alors que nous sommes toutes les deux allongées sur mon lit en train de regarder le plafond sans le voir, je me dis qu'on est insensibles.

  Je me retourne sur le ventre, et me redresse sur les coudes, pour la regarder parler. Elle continue, la tête toujours levée :

  -Ça fait seulement un mois. Un mois qu'on a tout perdu et on ne les pleure déjà plus. À certains moments, je me dis que je suis horrible.

  -Je t'interdis de dire ça.

  Elle reste allongée mais tourne la tête vers moi.

  -On a perdu énormément de gens à qui on tenait. Mais on ne peut pas pleurer toute notre vie. Ce n'est pas ce qu'ils auraient voulu.

  -T'as raison, c'est juste que... Ils me manquent Leila.

-À moi aussi Juliette... À moi aussi.

  On a passé au moins deux heures à se raconter tout ce qui s'était passé depuis le premier juillet. Avant ça, on a décongelées deux des pizzas que j'avais prises à la supérette. Et on a regardé un film. Un film. Comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

  Juliette est resté chez elle avec sa sœur, en tentant d'appeler sa famille et quelques uns de nos amis de lycée. Sans succès.

  C'est étrange qu'on se retrouve là, comme avant. On pourrait presque croire à une soirée normale, une de plus, identique en tout point à celles qu'on a pu faire dans le passé. À l'exception près que Simon n'est pas là pour entrer dans ma chambre et s'assoir à côté de nous. Ça peut surprendre, la plupart des sœurs interdisent même que leur frère adresse la parole à leurs amis. Pas moi.

  Juliette aimait bien Simon. Elle trouvait marrant. Alors il restait avec nous une heure ou deux et on parlait tous les trois. Il a toujours eu un faible pour Juliette, même s'il ne l'a jamais avoué. Mais je n'étais pas dupe, jamais Simon n'avait mis les pieds dans ma chambre quand c'était Lalie ou Marie qui s'y trouvaient.

  Je me rends d'ailleurs compte que ça fait une éternité qu'elles n'ont pas été invitées chez moi. À vrai dire, la seule qui l'a été au cours de ces deux dernières années, c'est Juliette. C'était la seule avec qui j'avais envie de passer du temps en dehors du collège et du lycée. Peut-être que je parais associale. Peut-être que je le suis. En fait, je crois que je n'aime pas les gens. Ou, plutôt, je n'aime pas m'attacher aux gens.

  J'ai continué à fréquenter les amis que j'avais avant Juliette, elle aussi d'ailleurs, on faisait toutes les deux partie du même groupe. On était une quinzaine à vraiment bien s'entendre, on allait en ville ensembles après les cours et on partageait une des plus grande table de la cantine.

  L'avantage du collège, c'est que quand vous avez des amis et la réputation d'être quelqu'un de bien, vous avez l'occasion de parler à des gens à qui jamais vous n'auriez pensé adresser la parole un jour. Ce ne sont pas vos amis, mais ils vous apprécient et ont de l'estime pour vous.

  Et j'ai beau essayer de me convaincre de l'inverse, j'avais besoin de cette estime. De cette affection. De cet amour. Je fais partie de ces personnes qui ont peur de l'abandon, en permanence. Peur que les gens qui prétendent vous aimez ne soient pas sincère. Peur de déranger. Peur de ne pas être comme il faut. De ne pas être dans les normes. De ne pas être à ma place.

  Toutes ces peurs, j'ai réussi à passer outre en fréquentant Juliette. Parce que j'avais trouvé quelqu'un à qui je voulais ressembler, mais qui avait eu les mêmes craintes que moi. C'est là que j'ai compris que ça ne servait à rien de vouloir être quelqu'un qui ne nous correspond pas.

Juste avant la fin du monde Où les histoires vivent. Découvrez maintenant