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  Assises côte à côte sur la balancelle de son jardin, nous avançons d'avant en arrière, doucement, grâce aux légers coups de pieds de Lou sur la pelouse, pour que nous ne nous immobilisions pas.

  Bien sûr, une demi-heure ne suffit pas pour rattraper 6 ans d'absence. Mais on fait ce qu'on peut.

  J'ai donc appris que Marion et Félix étaient ensembles depuis presque un an maintenant. Qu'ils avaient tous les deux obtenus le bac l'année dernière, et avaient pour projet de partir s'installer dans un appartement qu'ils avaient trouvé en périphérie de Rouen. Qu'au moment de la catastrophe, Lou et Hana étaient ensembles, sur cette même balancelle sur laquelle je suis accoudée.

  La panique, l'incompréhension, la peur, pour elle, pour les autres, pour Hana surtout. Lou évoque ce condensé de sentiments sans jamais me regarder. Elle garde les yeux rivés droit devant elle, sur les nuages roses et dorés, teintés par le soleil déclinant.

  Marion est la seule de sa famille qui ai survécu. Même chose pour Félix et Lou, qui ont vu disparaître leurs parents, et leur sœur Jeanne d'un seul coup. Après avoir réussi à joindre une amie proche de leur mère, qu'ils avaient toujours plus ou moins considérés comme leur tante, ils ont immédiatement pris la décision de partir pour Toulouse, afin de la rejoindre.

  Mais quitter tout ce que vous avez toujours connu pour un ailleurs dont vous ignorez tout, c'est tout sauf facile. Finalement, c'est au cours de la semaine qu'ils avaient tous les trois compris que le moment était venu. Le départ était prévu hier à l'origine.

  Mais Marion a décidé au dernier moment qu'elle voulait repasser chez elle. Malgré la tristesse et la douleur encore vives, elle se refusait à partir, sans ce qu'elle considérait comme un adieu à la maison qui l'avait vu grandir.

  On évoque un tas d'autres choses, je parle à Lou de Simon, de Juliette aussi, mais je garde pour moi mes retrouvailles avec Maile. Je ne sais pas pourquoi. J'ai le sentiment que ce qui s'est dit avec elle doit rester entre nous. Seulement entre nous.

  Ensuite, nous dérivons sur nos souvenirs de primaire. Sur les entraînements d'athlétisme que nous suivons toutes les deux entre le cp et le cm2, sur nos fous rire pendant les cours de musique de Mlle Maroubre, et sur le nombre certain de nuits que nous avions passé dans son trampoline, à discuter en regardant les étoiles.

  -Tu te souviens, on jouait à Harry Potter pendant les récréations ? me demande Lou en se retournant pour me regarder dans les yeux.

  -Moi j'étais Harry, parce que je portais encore des lunettes à ce moments-là, je dis.

  -Moi j'étais Hermione parce que j'avais coupé mes cheveux, juste pour avoir le même coupe qu'elle.

  -Et Hana était Ron, je dis en regardant les nuages glisser dans le ciel, poussés par le vent.

  -À cause de ses tâches de rousseur. Elle les détestait en primaire.

  -Et nous on aurait tout donné pour en avoir. On avait même demandé à ta mère de nous en dessiner une fois.

  -C'est vrai, je m'en souviens, dit-elle, les yeux eux aussi tournés vers le ciel.

  Après un court silence, elle ajoute :

  -Tu as gardé ta baguette de sorcier ?

  -Elle est toujours dans le tiroir de mon bureau. Et toi ?

  -Elle est dans ma valise, je tenais à l'emporter à Toulouse. Je ne sais même pas vraiment pourquoi.

  -Tu penses qu'Hana a gardé la sienne ? je demande en fixant le bout de mes chaussures.

Juste avant la fin du monde Où les histoires vivent. Découvrez maintenant