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  Je repousse mes pâtes du bout de ma fourchette. Je n'y ai presque pas touché. Le steak haché que j'ai fais cuir ce matin est resté intact. Je n'ai pas faim. J'ai allumé la télé, en fond, mais je n'ai pas posé les yeux dessus une seule fois. De toute façon ils ne diffusent rien, à part les consignes de sécurité qui défilent en boucle. "Ne sortez pas. Protégez vos proches. Conduisez les à l'hôpital au moindre problème." Mais il n'y a plus de problème.

  Tous ceux qui en ont eu un sont morts. Donc plus de problème. Ce virus qui a éradiqué plus des trois quarts du monde, au final, on ne sait rien lui. D'où il vient, comment s'en protéger, pourquoi certains ont été épargnés, tout ça on l'ignore. On a un nom, c'est tout : SBA. Et même ces trois lettres, on n'en a pas la signification.

  Toutes les chaînes de télé ont arrêté d'émettre leur programme quotidien pour laisser place aux consignes. Pareil pour les radios. Sauf le 7eme jour. Ce matin-là, on nous a clairement fait comprendre que le monde était en train de s'écrouler. Le président qu'on avait mis à l'abri avait quand même succombé à de violentes quintes de toux. La quasi totalité des politiciens et des personnalités publiques étaient mortes.

  Les autorités ont tenté d'instaurer un couvre feu, des points de rassemblements, et tout le reste, mais ont bien vite abandonné quand ils ont compris que personne n'abdiquerait. Dans cette nouvelle aire, c'était chacun pour soi. En gros l'état nous demandait de nous démerder.

  Mais pas de panique ! Le protocole d'urgence avait été enclenché : la gestion de l'eau courante, de l'électricité, et du réseau, étaient assurés de manière permanente par des robots et intelligences artificielles programmés dans cet unique but de distribution. Super ça dites moi ! Toute ma famille est morte mais du moment que je peux continuer de faire mes flammes sur Snap, tout va bien !

  Je suis de mauvaise foie en plus. Parce-que sans ce protocole, je n'aurai pas survécu trois jours, privée d'eau et d'électricité. Pour ce qui est du réseau, j'ai beau savoir que je l'ai, je n'ai envoyé aucun message. J'ai trop peur que le destinataire ne le lise jamais. Et je me dis que si mes contacts étaient encore en vie, ils m'auraient déjà prévenue. Mais je n'ai pas eu une seule notification depuis le premier juillet. Je me réfugie dans l'idée qu'ils doivent être dans le même état d'esprit que moi, et que c'est uniquement pour cette raison que je n'ai pas reçu de message. Je l'espère.

  Je me lève, mon assiette encore pleine à la main, et verse le reste de mon repas dans un tupperware. J'ai beau habiter à moins de 500 mètres du supermarché, et donc avoir un point de ravitaillement à portée de main, je refuse de gâcher de la nourriture. Je ne sais pas si le centre commercial a été investi par une bande, ou pillé, ou dévalisé ou même s'il est encore debout. Avant que je ne sois contrainte de sortir, je ne veux prendre aucun risque, et retarde ce moment au maximum.

  Après avoir déposé mes couverts dans le lave-vaisselle et éteint la télé, je me dirige vers ma chambre à l'étage. Je m'allonge sur le dos, les yeux tournés vers mon plafonds. Mais j'ai le regard dans le vague. C'est si étrange de continuer à vivre. À vivre normalement je veux dire. Comme si de rien n'était.

  Mais combien de temps ça va encore durer ? Combien de temps avant que j'accepte le fait que personne ne viendra me chercher, que je suis seule, et que mon frère ne posera plus jamais les pieds dans cette maison ? Parce qu'au fond je crois que c'est ce que j'espère un peu. Qu'il me rejoigne. Qu'il m'annonce que tout ça n'est qu'une immense blague de mauvais goût. Mais il ne viendra pas.

⚫ ⚫ ⚫

  Je me redresse d'un bond sur mon lit. Je mets une fraction de secondes à réaliser que je ne rêve pas. Quelqu'un est en train de sonner à la porte.

Juste avant la fin du monde Où les histoires vivent. Découvrez maintenant