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  -Tu dors ?

  -Non, je murmure. Et toi ? je demande machinalement.

  -Mmh je ne suis sûre de rien. Tu me fais douter tu sais ?

  Elle rit. Moi aussi. Une fraction de seconde. Une fraction de seconde je nous revois comme avant.

  Je nous revois chez Honey. Je nous revois au volley. Je revois notre équipe. Je revois notre voyage en Angleterre l'année dernière, avec notre classe de 3eme. Je nous revois sur nos vélos.

  Je nous revois au parc avec Ethan. Je nous revois à quelques mètres des balançoires. Je revois Ethan qui s'arrête pour nous dire que selon lui, on n'a plus l'âge pour en faire. Et je le revois lever un sourcil et nous lancer un regard provocateur avant de s'élancer en courant vers le tourniquet à la peinture écaillée, au milieu du terrain de jeu.

  Et je nous revois tous les trois, riant aux éclats, entassés sur un toboggan bien trop petit pour nous. Juliette avait sorti son téléphone et on avait tenté de prendre une photo. On était allongés, décoiffés, et on plissait tous les yeux à cause du soleil de juin.

  On s'en moquait. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? On s'aimait. Sur la photo, on riait. On regardait l'objectif et on riait.

  -À quelle heure tu dois repartir ?

  -Eva viens me chercher vers 9 heures...

   On se tourne toutes les deux vers mon réveil. 8 heures 28. On reste immobile quelques instants, perdues chacune dans nos pensées.

   Juliette tourne soudain la tête vers moi et souris avant de me dire :

  -Tu te souviens du jour où on avait perdu le match qui nous aurait permis d'aller en championnat de France ?

  -On avait jamais été aussi dégoûtées après un match... Mais Ethan nous avait emmenées...

  -À la fête foraine, complète Juliette en même temps que moi.

  -Il nous avait fait manger ces granita fluos dont on avait parlé pendant des semaines, alors qu'il refusait catégoriquement qu'on en achète parce que selon lui, c'était le diabète assuré.

  -Et il nous avait aussi acheté un porte clés chacun avec ces ours en  peluche débiles, mais la fin de sa phrase n'est qu'un chuchotement à cause du sanglot qui vient briser sa voix.

  Je me souviens de ces portes clés, le mien est toujours accroché à mon sac de cours. D'ailleurs, on avait tous les trois notre ours accroché à notre sac de cours. Ils étaient petits, marrons, sans signe distinctif ou particularité, mis à part leur prix exorbitant.

  Ethan les avais achetés de son plein gré pour nous remonter le moral, mais on a arrêté de compter le nombre de fois où il nous a rétorqué "Je vous ai bien offert un ours débile à 6 euros" quand on hésitait à lui payer un granita ou un cookie.

  On formait un trio. Honey était notre quartier général. Les photos étaient notre manière à nous de conserver nos moments. Et nos ours étaient le petit symbole un peu niais de notre amitié. Ça paraissait presque bête. Mais ça nous convenait très bien.

   -Si tu savais comme il me manque Leila.

  Elle me regarde droit dans les yeux et murmure :

  -Je l'aimais vraiment.

  -Je sais Juliette. Et il t'aimais aussi.

  -Pourquoi est-ce qu'on a été trop bêtes pour ne pas se le dire ?

Juste avant la fin du monde Où les histoires vivent. Découvrez maintenant