Le Début de la Fin

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La fuite était devenue ma routine perpétuelle, un cercle vicieux dont j'avais été faite prisonnière malgré moi, une boucle qui s'ouvrait pour m'engloutir un peu plus profondément chaque jour. 

Mon quotidien était réglé comme du papier à musique, tout était planifié, organisé, réfléchi au mieux pour ne pas qu'on m'enlève cette étincelle qui m'avait condamné depuis que j'avais percé les mystères de mon histoire : ma vie. Dans ce jeu impitoyable, tout ce je pouvais miser sur la table c'était ça, mon existence, ma chair. Ce qui faisait que j'étais moi.

Ce sang qui coulait dans mes veines, je le payais au prix de ma propre vie.

Oui, j'étais encore de la partie, et je me battais bec et ongles pour le rester, mais souvent, dans les heures sombres, quand les étoiles n'arrivaient plus à aveugler les ténèbres dans mon esprit je me demandais si tout ça en valait vraiment la peine, si tous ces efforts et ces risques étaient réellement nécessaires.Pourquoi continuer à lutter quand j'aurai simplement pu fermer les yeux et apprécier le néant m'ensevelir à tout jamais ? Pourquoi ne pas juste m'offrir à eux et arrêter tout ce cirque ?

Une seule chose me retenait cependant de céder à cette pulsion de dernier recours : mon entêtement. Je ne pouvais pas les laisser gagner, pas une seconde fois. Sans doute finiront-ils par avoir ma peau, comme ils avaient eu la leur, mais ils devront se battre pour ça. Et ils devront en souffrir.

Désormais allongée sur mon lit, seul un mince rayon de soleil avait réussi à se frayer un chemin à travers les persiennes de cette chambre qui me servait de lieu de vie mais aussi de refuge. Autour de moi, le néant le plus total, des vêtements sales à même le parquet, un reste de macaronis au fromage encore congelé de la veille, une bouteille de whisky à moitié pleine, des mégots dans un cendrier improvisé et sur mon visage, des regrets que je ravalais amèrement avant qu'ils ne dévalent à nouveau mes joues.

Figée à regarder le plafond, mon regard revenait toutefois inlassablement se poser sur cette photo en noir et blanc prise quelques mois avant le drame. Je pris le cadre en main une énième fois, comme si le toucher allait pouvoir me rapprocher d'eux, mais en vain. De ce geste banal, je n'en retirais qu'une plus grande solitude et une haine grandissante à l'encontre de ceux qui me les avaient dérobé si brutalement. Dans mes instants de folies, j'aurai presque supplié qu'on m'arrache le cœur plutôt que d'avoir à subir ces coups de couteau invisibles qu'on y portait à chaque fois que le souvenir de cette soirée me revenait en mémoire.

La sonnerie bourdonnante de mon téléphone prépayé me ramena alors brusquement à la réalité tout en faisant resurgir une vague de panique au creux de mon estomac. J'avais tellement peu l'habitude de communiquer avec que lorsque je reprenais conscience de son existence je me sentais d'autant plus vulnérable. Je portais alors prudemment le combiné à mon oreille comme si mon interlocuteur aurait eu la moindre chance de me tuer à distance. En réalité, seulement trois personnes possédaient ce numéro, le gardien de l'immeuble, sans quoi je n'aurai pas pu loger ici, Pallina, ma meilleure amie qui ne m'appelait que les weekends quand je l'y autorisais et mon patron.

Je pariais alors vingt-cinq euros sur le troisième choix.

- Allo ?

Emma ? Tu aurais dû débuter ton service il y a vingt minutes déjà, j'espère pour toi que cette fois-ci tu as une bonne excuse pour couvrir tes arrières.

A chaque fois que l'on prononçait ce prénom qui n'était pas le mien je frissonnais. Il me rappelait que je n'étais pas celle que je prétendais être et que cette sous-existence que je menais n'était qu'un leurre de plus pour m'éviter des emmerdes.

Je soupirai.

- J'ai eu une panne de réveil, mentis-je alors. Je m'en excuse. Je serais là d'ici une bonne demie-heure.

Buried Secrets | EN PAUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant