En Chair et en Os

24 7 0
                                    

Stoïque, je me retrouvais comme paralysée par la révélation d'Alejandro. Mes épaules se relâchèrent, enfin libérées de la force des mains de l'Inconnu qui les tenait fermement contre le dossier du fauteuil depuis avant. Je réalisais alors que celui que j'avais traité de tous les noms depuis notre départ n'était autre que le fils de cette saleté. Merde. Dans quels beaux draps je m'étais encore foutue ! 

- Je me suis dit, commença alors Alejandro en tournant autour de moi comme un vautour, que tu apprécierais peut-être de te faire escorter jusqu'ici par celui qui t'espionne depuis maintenant deux mois.

À chaque réplique c'était une nouvelle partie de ping-pong qui se jouait sous mes yeux, ma tête allant et venant entre le père et le fils.  

Cette fois-là cependant, je ne pus contenir mon effarement. 

- Toi ? Interrogeais-je alors incrédule en me tournant vers Kyle, toujours appuyé contre le fauteuil. 

Il s'avança vers moi, d'un pas assuré et contre toute attente il me fit face, aux côtés d'Alejandro. 

Jusqu'alors je n'avais pas remarqué à quel point la ressemblance entre les deux était frappante, mais maintenant qu'ils étaient tous les deux plantés devant moi et que les flammes qui ne cessaient de grandir dans l'âtre de la cheminée se reflétaient sur leurs visages, il n'y faisait plus aucun doute. 

Le Diable avait bel et bien engendré un fils, et il fallut que ce dernier possède une gueule d'ange.

- Te traquer était ma deuxième mission, ajouta ce dernier. 

Le crépitement des flammes contre la pierre s'intensifia tandis que le regard vicieux d'Alejandro ne cessait plus de m'encercler. Prisonnière, je me sentis faiblir un bref instant. 

Depuis le début ils m'avaient laissé déplacer les pièces de l'échiquier toute seule, me faisant croire que je pouvais remporter cette partie, mais toute cette mascarade n'avait eu qu'un seul et unique but : me rendre encore plus vulnérable que je ne l'étais déjà en me faisant sortir de ma zone de confort pour ensuite m'aplatir comme un moucheron à la première occasion. 

- Il est encore en période d'essai, comme on dirait, souligna alors le Diable. 

En période d'essai, avec moi pour cobaye, que rêver de mieux ? Ma curiosité se demandait alors quelle avait été sa première mission, mais ma raison, elle, se renfrogna. Dieu sait ce qu'on avait bien pu lui assigner comme première tâche pour s'assimiler au clan. 

Je les vis échanger une œillade entre eux. Ils pensaient peut-être réussir à me détourner de mon but en perdant du temps en babillage, mais je comptais bien leur réclamer ce pour quoi j'étais ici. 

-Je veux voir Chris. Vous aviez promis. 

Ils se tournèrent vers moi dans un même mouvement ce qui me perturba davantage. Ils n'avaient pas seulement le même faciès, ils adoptaient également les mêmes postures, les mêmes manières de s'exprimer et le même sourire de braise. 

- C'est vrai, affirma Alejandro en se frottant le menton d'un air songeur. Kyle, va donc le chercher. 

- Mais père, commença alors Kyle sur la défensive en dévisageant son géniteur. 

Alejandro leva la main d'un geste autoritaire ce qui mit fin à toutes protestations.  Il dégagea ensuite le col blanc de sa chemise pour venir y trouver une chaîne argentée qu'il était ainsi impossible de distinguer au premier regard. Il l'a souleva ensuite pour pouvoir accéder plus facilement au fermoir, ce dernier semblait solide et nécessitait une certaine patience. Lorsqu'il céda sous ses doigts habiles, Alejandro tendit le bijou à Kyle avec grande précaution. Au creux de la chaînette, se balançait une clé, comme animée par un désir de s'évader. 

J'aurai pu tenter une fuite, n'importe quoi, j'aurai pu prendre cette clé, tuer tout ce qui se trouvait sur mon passage, chercher Chris et nous emmener loin d'ici, j'aurai pu, mais ça aurait du suicide, pire encore, ça aurait été un acte désespéré. La maison devait grouiller de Scarabées armés jusqu'aux dents, sans doute y'avait-il des systèmes de sécurités disposés un peu partout, de même que je ne savais pas dans quel état exactement se trouvait mon frère. 

Mon esprit considérait tout cela aussi calmement qu'il lui en était possible, mais il y avait pire encore, je me retrouvais maintenant seule avec le Diable. A peine Kyle avait-il franchi la porte face à moi qu'Alejandro en profita pour se rapprocher de mon fauteuil, créant une certaine proximité entre nous. Je n'avais aucune intention de lui asséner un coup, pas maintenant, même si ce n'était pas l'envie qui m'en manquait.  Je savais que pour le moment, je n'étais pas en position de force. 

Il me scruta de son regard dénué d'humanité. Ce n'était d'ailleurs pas un hasard si le surnom que j'avais choisi de lui attribuer reflétait l'esprit du mal, il en était l'incarnation même. Les monstres les plus terrifiants ne sont pas toujours ceux que l'on ne distingue que dans la nuit, parfois il arrive aussi qu'ils s'assimilent à la lumière de manière à ce qu'on ne puisse les en dissocier. 

- J'ai une proposition à te faire Anastasia. 

Il avait beau chahuté, toutes mes pensées étaient désormais tournées vers Chris. 

- Je ne suis pas ici pour négocier. Je suis venue récupérer mon frère, c'est tout. 

Alejandro prit place derrière son bureau massif ce qui lui conféra un air presque respectable. 

- Tu es tellement naïve Anastasia, comme tes parents, c'est fort regrettable d'ailleurs. 

Lorsque je relevais la tête pour affronter son sourire narquois, je vis Chris, feignant de s'évanouir, tenu comme en laisse par le fils du Diable. Il avait le souffle difficile, ses poumons s'élevant et s'abaissant avec une douleur visible. Ses yeux étaient cernées, gonflés comme s'ils avaient chacun reçu une piqûre de guêpe. Sa lèvre inférieure manquait de dégringoler sur son menton et je n'osais imaginer l'état de sa dentition. Il se tenait sur ses deux jambes uniquement parce que la chambranle était là pour l'aider, affaibli, il me dévisageait comme si j'étais une apparition divine au milieu d'un champs de ruines. 

Sa main droite avait été maladroitement soignée, le bandage paraissait sale et ancien. Sans doute avaient-ils dû faire le strict nécessaire pour stopper l'hémorragie après lui avoir charcuté le doigt. 

Ma mâchoire faillit se décrocher sous le choc. Il était bien là, sous mes yeux, en chair et en os. 

Il me fallut alors moins de cinq secondes pour me lever de mon siège et fondre sur lui. Il ne réalisa pas d'abord, restant en retrait, les bras ballants pendant qu'une vague de larmes se déversait de mes yeux océans pour venir se fracasser dans le creux de son cou. 

- Anastasia, réussit-il alors à articuler en m'étreignant maladroitement, tu n'aurais jamais dû revenir ici bon sang. 







Buried Secrets | EN PAUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant