Un Coup de Fil

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Mon cœur ne se brisa pas, il se broya.

Broyé, parce qu'à ce stade il n'y avait plus rien à recoller.  

Je ressentais cette douleur lancinante, celle d'une main étrangère traversant mon thorax pour venir attraper cet organe qui battait pourtant si fort dans ma poitrine il y a quelques minutes, assez fort pour me briser les tympans. 

Et maintenant, le souffle me manquait, j'avais l'impression que mon corps tout entier se tordait sous la pression qu'exerçait cette main sur mon cœur. 

Je n'étais plus que l'ombre d'un pantin meurtri, un pantin à qui on venait d'ôter une deuxième fois la vie. 

Comment osaient-ils seulement évoquer mon frère, n'avaient-ils donc aucun respect ?  

J'avais la rage. 

Je bouillonnais, prête à exploser et à faire un carnage autour de moi. 

Je pris alors le pistolet entre mes mains avant de fermer mes paupières. 

Je m'imaginais leur tirer dessus comme des lapins, les descendre un par un et les regarder mourir droit dans les yeux. 

Je voulais pouvoir lire la terreur dans leurs regards, je voulais les voir apeurés comme je l'avais été cette nuit-là. 

Je froissais alors misérablement le bout de papier entre mes doigts avant de l'envoyer valser à l'autre bout de l'appartement. 

Ils n'allaient pas m'avoir de cette manière. 

Appuyer sur la corde sensible pour eux c'était déjà comme appuyer sur la gâchette. 

Ils aimaient jouer avec leur proie pour mieux l'engloutir la seconde d'après. La chasse, voilà leur terrain de jeu privilégié. 

Je ne comprenais cependant pas à quoi tout cela rimait. 

Pourquoi avaient-ils tant besoin de m'avoir vivante ?

Pourquoi ne pas juste braquer la porte de mon appartement et me tuer dans mon sommeil  ? 

Pourquoi avoir menti au sujet de mon frère ? 

Je décidais alors de faire tout l'inverse de ce que j'avais tenté de faire ces deux derniers mois. 

Je décidais de ne plus être une victime dans l'ombre. 

Je me mis à la recherche de la lettre qui était retombée près de mon lit avant de composer le numéro indiqué sur mon cellulaire. De toute manière ma planque était déjà à découvert alors pourquoi continuer à prendre des précautions inutiles ? 

Je tremblais cependant, sans savoir s'il s'agissait d'angoisse ou d'adrénaline suintants dans mes veines. 

Je savais que j'allais à nouveau être confrontée à sa voix et que ça risquerait de me déstabiliser voire de me faire perdre le contrôle de moi-même. Mais il fallait que je reste solide. Il fallait que je me raccroche à ma vie, du moins à ce qu'il en restait. 

Il ne mit pas longtemps avant de décrocher. Je m'imaginais alors son putain de sourire scotché à ses lèvres, le genre de sourire de satisfaction qu'on a quand les choses vont dans le bon sens. 

- Anastasia... Je dois t'avouer que je suis surpris, tu as été plus rapide que je ne le pensais. J'espère que notre lettre a été bien accueillie. 

Silence. 

Mes lèvres refusèrent d'articuler ne serait-ce qu'un mot. 

- Anastasia ? 

- Pourquoi continuer de jouer au chat et à la souris alors que vous pourriez juste me buter sans lever le petit doigt ! CHRIS EST MORT. Il est MORT, lâchais-je enfin en hurlant à plein poumons. 

J'entendis mes cris résonner en écho dans le combiné. 

- C'est drôle, reprit-il après un temps, parce que figure-toi que Chris est justement à côté de moi. 

Des larmes silencieuses dévalèrent mes joues. Cette fois-ci je ne pus les retenir. Était-ce vraiment un piège ou un effet de ma paranoïa ? Chris ne pouvait pas être vivant. Je l'avais vu tomber ce soir-là ! Je l'avais vu merde, de mes propres yeux. 

- Je veux des preuves. 

Je l'entendis rire à l'autre bout du fil. 

- J'aime quand tu prends ce genre d'initiatives Anastasia...

Pendant un instant je crus qu'il m'avait raccroché au nez. 

J'entendais des bruits de fond vaguement étouffés, sans réussir à distinguer de quoi il s'agissait. Dans ma poitrine, mon cœur avait repris du service, ou alors ne s'était-il jamais vraiment éteint. J'avais un espoir, presque naïf que Chris soit vraiment en vie. Il était tout ce à quoi j'aurai pu me raccrocher désormais. 

- ANASTASIA, ANASTASIA, PUTAIN, NE LES ECOUTE PAS, NE REVIENS PAS, TU M'AS COMPRIS ? NE. 

Un cri de souffrance s'ensuivit, un cri qui m'empêchera sans doute de dormir les nuits à venir. Celui de mon frère. 

- CHRIS ? CHRIS ? 

Ma voix se perdit dans les tréfonds du combiné. Je ne tenais plus en place maintenant. 

- CHRIS PUTAIN ! ALLO ? 

Pour le coup je venais vraiment de faire raccrocher au nez. Je gardais tout de même l'oreille scotchée au combiné bien longtemps après que les premiers bip bip se firent entendre. J'avais encore espoir d'avoir gardé le contact. 

Mon monde venait de se renverser brutalement, me faisant perdre l'équilibre. 

Chris était vivant. 




















Buried Secrets | EN PAUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant