Virus, tome 1: Mortel

Chapitre 5

Heather

Mon reflet me sourit à travers l'eau de la fontaine. Sourire factice épinglé au visage au début de la journée à cause des changements qui s'opèrent en moi, j'ai à présent un sourire bien réel et ravi qui habille mes traits.

J'ai profité des heures qui m'étaient offertes pour flâner dans les rues, patienter devant les vitrines des magasins pour voir ce qu'elles avaient à offrir, mais surtout pour admirer le parc dans toute sa splendeur, le vent tiède me caressant la peau. J'ai eu peur de tomber sur un Privilégié ou quelqu'un qui me reconnaisse, mais je ne me suis pas fait remarquer, outre le fait que j'ai les cheveux blancs.

Ce fut donc une promenade particulièrement agréable. Jack m'a fixé rendez-vous près de la fontaine au centre du parc après m'avoir rapidement expliqué l'itinéraire à suivre pour m'y rendre et puis il est parti travailler. Il n'a même pas précisé une heure spéciale, mais ça m'est égal, je pourrais rester assise à cette place durant des heures pour analyser le décor, le monde humain et ce qu'il regorge de précieux à mes yeux. J'ai longtemps contemplé le ciel, l'unique vue qui me rappelle mon chez-moi, il parait illimité, sans frontière.

Mes yeux curieux se baladent et se posent sur une fillette dont les boucles sont amassées en couettes nouées par de jolis rubans violets. Elle passe devant moi, la main dans celle de sa mère et elle tient une poupée qui semble être son jouet favori, car elle sourit à pleines dents en le serrant contre son cœur.
Voir cette scène augmente les pulsations de mon cœur qui me restent étrangères. Une mère et son enfant en bas âge. Je ravale ma tristesse, m'imprégnant de la joie qui recouvre le lieu.

Parfois, je m'imagine ce que ça fait d'être une enfant, d'avoir des parents qui prennent soin de soi, la prunelle de leurs yeux. Mais je ne connais rien de la vie familiale, de tout ce que ça implique, de ce qu'on ressent lorsqu'on est encore qu'une petite fille innocente qui peut compter sur sa mère ou son père en cas de besoin. Ce que c'est d'être un enfant qui possède des frères ou des sœurs avec qui jouer, des jeux avec lesquels s'amuser. Partir en vacances, voir ses grands-parents et fêter son anniversaire autour d'un gâteau couronné de bougies.

Si je le pouvais, je ne demanderais qu'à vivre une enfance pareille. Une enfance tout court en fait. Mais malheureusement, je ne le peux pas. J'ai passé l'âge.

Je n'ai jamais eu l'âge requis pour vivre ça. Parceque jamais au court de mon existence je n'ai eu la chance d'être un enfant.

Jack

Je suis le regard d'Heather qui est en pleine réflexion, plongée dans la contemplation d'une petite fille et de sa mère.
Heather est quelqu'un de difficile à cerner. Je ne la connais pas, je ne sais pas encore si je peux avoir confiance en elle après qu'elle soit apparue comme par magie dans ma chambre, sans aucune explication plausible. J'aimerais savoir comment elle est arrivée là, mais elle ne semble pas encline à m'en dire plus en longueur sur la trahison dont elle a été victime. Mais je me crois capable de la faire parler avant qu'elle ne rentre chez elle. Car c'est ce qu'elle m'a expliqué, elle veut rentrer, car apparemment quelque cloche depuis qu'elle est ici, sans qu'elle ose me dire quoi. Ce qui est incohérent dans ses propos c'est que j'ai beau lui dire qu'elle devrait rentrer chez elle, elle me dit qu'elle en est incapable puis tout à coup elle en exprime le désir.

Mais il n'y a pas qu'elle qui est incohérente, je sais que j'agis bizarrement, que je suis fou de l'avoir abritée, mais pour tout avouer, elle m'intrigue et j'ai de la peine pour elle. Je pense que c'est surtout la perte d'êtres chers et l'idée qu'elle ait pu vivre la même épreuve qui m'a poussé à l'accueillir si gentiment.