Une nuit noire était tombée sur la ville. Une couche de neige immaculée couvrait les pavés. Les rues étaient vides de toute vie, comme si le froid avait gelé le Temps. Mais une silhouette semblait braver l'interdit, marchant d'un pas souple sur le trottoir pourtant glissant. Son œil unique brilla d'une lueur bleue lorsqu'elle leva son regard vers le ciel. Elle estima qu'il était environ 1 heure et continua sa route. Elle passa près du Gymnase, créé par Jean Sturm il y deux ans de cela, en 1538. Après avoir louvoyé de rue en rue,elle s'arrêta devant une petite maison qui ne semblait en rien différente des autres. La porte grinça quand elle entra. Un chat noir assis sur une chaise au centre de la pièce fixa la nouvelle venue de ses yeux jaunes. Il miaula faiblement. Une femme à la chevelure flamboyante se précipita vers l'entrée. Elle s'arrêta net à la vue de la personne en face d'elle, qui caressait calmement le félin.
« J'apprécierais que tu me prévienne avant d'entrer »
Son interlocutrice demeura muette. La propriétaire des lieux l'examina.La jeune femme possédait une longue chevelure noire qui lui arrivait jusqu'au creux des genoux, un bandeau de même couleur lui cachait la partie droite du visage et son œil bleu semblait sonder au plus profond de son âme.
« Il semblerait qu'un groupe de bandits en cavale se soient échoués en ville, et tentent de duper les gens en empruntant les symboles de la royauté. Tu devrais faire plus attention, Marie. »
La femme rousse frissonna en entendant enfin la voix de sa visiteuse.Elle était froide, dénuée d'émotions, n'annonçait qu'un simple fait alors qu'il s'agissait d'une information capitale à leur survie.
« Que veux-tu dire par là ? J'ai toujours été prudente. Je ne laisse personne entrer chez moi. J'ai même placé un sort sur le collier du chat pour que ses miaulements ne puissent être entendus que de nous.
- Ils toquent aux portent et fouillent les maisons en se faisant passer pour une institution royale. Ils sont assez convaincant et utilisent à leur avantage les vêtements et étoffes bleues qu'ils ont volés quelque part. Le peuple, même méfiant, n'a pas d'autre choix que d'obéir, par crainte du Roi.
- Le Roi ! S'il savait tout ce que nous avons fait pour ce pays !Sans nous, la ville serait engloutie dans les ténèbres depuis longtemps. »
Son interlocutrice acquiesça avec un faible sourire.
« Les hommes craignent ce qu'ils ne connaissent pas. Les démons, Dieu, nous... quelle différence ? »
Elle passa dans la pièce du fond sans y être invitée. Une forte odeur de plantes et de mélanges en tout genre flottait dans la pièce. Un grimoire était ouvert sur une page montrant un pentagramme. Au sol, des traces faites au charbon de bois avaient été péniblement effacées, reste d'un sort quelconque.
« Et si tu rangeais tout cela ?
- Je n'ai nulle part où le mettre. »
Marie s'assit sur la chaise qui faisait face à une petite table, seul mobilier de la pièce. Son chat vint se blottir sur ses genoux. La femme à l'œil bleu sembla contempler cette scène avec une pointe de tristesse. Elle fit demi-tour et sortit de la maison, les laissant s'immerger dans leur monde.
Le jour s'était levé et en début d'après-midi un attroupement s'était formé sur l'une des places de la ville. La jeune femme à la chevelure de jais s'approcha. Au centre de la foule se dressait un bûcher. Elle interpella quelqu'un.
« Que se passe-t-il ?
- Une sorcière a été capturé hier soir ! Ils la brûlent aujourd'hui ! »
La foule se fendit pour laisser passer une procession avec à sa tête le chef du groupe de faux inquisiteurs, une cape bleue jetée sur ses épaules. Derrière lui, enchaînée, battue, les vêtements en lambeaux, clopinait Marie. Sa chevelure avait perdu de son brillant et sa fierté, envolée.
« Au bûcher ! »
Quelqu'un lui lança une pierre, qu'elle reçu en pleine tête. Un filet de sang coula le long de sa joue. Elle fut ligotée au piquet pendant qu'un subordonné préparait le feu un peu à l'écart. Lorsqu'il s'approcha, une torche enflammée à la main, la foule explosa.
« Sorcière !
- Monstre !
- Démon !
- Brûle !
- Brûle !
- Brûle ! »
Ils reprirent ce mot et le crachèrent tous en cœur, comme hypnotisés.L'homme lâcha la torche sur le bois, et bientôt une grande flamme naquît, avide de croître, galvanisée par la folie des hommes.
La sorcière fixait le feu qui allait la dévorer. Tout ce qu'elle avait fait, ce qu'elle avait construit, allait être réduit en cendre, jusqu'à sa propre existence. Elle leva les yeux vers la foule, la fumée commençant à brouiller sa vision. Elle ne prêta que peu d'attention à la masse qui vociférait devant elle. Un éclat bleu s'en détachait. Son regard croisa celui de la femme à l'œil azur. Elle n'y lu aucune compassion. Elle semblait vouloir lui dire « Tu vois ? Où croire envers les hommes t'as mené ? Je te l'avais dis. Les hommes n'apprennent pas de leurs erreurs, ilsles cachent pour montrer à tous la digne personne qu'ils prétendent être. Ce sont des créatures qui ne sont du côté de la justice uniquement si elle correspond à leurs propres intérêts.». Les flammes lui léchaient les pieds, mais elle ne sentait pas la douleur. La fumée était trop épaisse, elle n'arrivait plus à respirer qu'un air empoisonné. Elle suffoqua sous le regard fiévreux de la foule alors que l'odeur de chair brûlée couvrait toute la place. Ses poumons menaçaient de refuser de fonctionner à chaque inspiration. Alors elle laissa les flammes lui dévorer les jambes, la fumée l'empêcher de respirer. Et bientôt, tout fut noir. Elle n'entendait plus les cris, le ronronnement du brasier, ses propres pensées. Elle ne voyait plus les hommes, la cape portant la couleur du royaume. Cet œil bleu.
La spectatrice ferma les yeux quand la sorcière rendit son dernier souffle. Le corps continua de brûler et la foule de vociférer. Elle quitta la place sans que personne ne lui accorde un regard.
Elle avait dressé une tombe dans une clairière, loin de toute habitation. Un mince rayon de soleil pénétrait les nuages, tombant sur une fleur bleue qui avait été déposée sur la stèle. Une myosotis, évoquant l'absence, la séparation. Symbole de l'éternel souvenir. De couleur bleue, couleur du Roi, synonyme de vérité et loyauté. Impassible à la souffrance des êtres, une couleur froide.

VOUS LISEZ
Flammes d'un jour
Cerita PendekRecueil d'histoires courtes faisant chacune un chapitre, abordant des thèmes divers et variés.