Jour 10 : le dernier endroit

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Hier encore j'ai regardé les lettres et les cartes que nous avons échangé. Chacune d'entre elles commence par le même refrain « mon petit cœur ». Je te raconte à toi mon petit cœur de douces banalités, je te dis ensuite comme je t'aime et combien tu me manques et je presse ta réponse. Vendredi dernier juste avant de quitter le bord de mer, je t'ai envoyé une de ces nombreuses cartes et j'attends encore ta réponse...

Samedi dernier au matin ton petit cœur s'est arrêté. Mais comme je te l'ai répété encore et encore ton petit cœur c'est le mien aussi, alors me voilà bien embêtée.

C'est celui qui me permet d'aimer, c'est celui qui me fait espérer. Alors dès que le tien a flanché, le mien l'a copié, funestement il s'est mis à vibrer, machinalement, mais lui s'est dit pour je ne sais quelles raisons de continuer.

Jusqu'à aujourd'hui. Le jour où je dois enterrer ma petite sœur, le jour où je dois me séparer de mon cœur.

Jusqu'à ce jour, je ne cesse de me répéter qu'il faut que je tienne, qu'il faut que je sois là pour toi, pour te dire au revoir, pour te dire encore et encore que je t'aime.

Le jour où je vais enterrer ma petite sœur... ça n'a tout simplement pas de sens. On organise pas les funérailles de sa petite sœur, on lui prépare des surprises, on invite ses ami.e.s en cachette pour célébrer son 18ème anniversaire, on ne lui choisit pas un cercueil, ni une dernière chanson.

Le sens manque cruellement aujourd'hui, alors on essaie d'en injecter à gros coup de tractopelle, on se dit qu'il faut absolument qu'il y ait du sens, que ça ne peut pas être qu'une immonde injustice, que ça ne peut pas être juste la fin de notre monde.

On se dit qu'ici se sont réunis de belles personnes, et encore une fois tu as réussi un coup de maitre en faisant converger différents mondes à travers eux. Ensemble ils ont franchis le seuil de l'église et foulé le pas de la nef avec pour seule ambition de te transmettre de l'amour. Parce que tu n'es qu 'AMOUR.

Voilà les mots que j'ai écris le matin du dernier cortège. Voilà les mots que Jean a lu pour moi, pour toi. Voilà le dernier message que j'ai confié aux personnes présentes pour toi :

« Alors vous qui allez demeurer dans la beauté des choses, prenez soin de sa part qu'elle vous délivre aujourd'hui comme le plus beau et le plus intime de ses trésors. Elle nous remet sa vie entre les mains, à nous d'en être digne. »

Je me suis raccrochée à ton amour, pour transformer en tendresse et en espoir le sentiment d'injustice et de dégout que me procurait cet état abjecte qu'est l'absence de toi. Cet état avec lequel j'allais devoir composer désormais, ce trou béant à l'intérieur de moi, cette volonté que pour le reste du monde aussi la vie vole en éclats.

Tu ne pouvais pas disparaître sans que le monde entier ne perçoive le poids cette absence.

Les jours sans ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant