Compulsivement j'ai commandé tous les textes possibles sur le deuil, comme si la lecture était la clef, comme si j'apercevais une once d'espoir dans le savoir, comme si savoir c'était contrôler.
Jusque là j'avançais en mode automatique, il n'y avait pas le choix il fallait faire les choses pour te laisser partir, pour ne pas laisser ton corps à la merci des chagrins des autres.
Je ne cesse de me dire que ce n'est pas toi que j'ai enterré, ce n'est pas ton corps que j'ai vu dans une des lugubres chambres de la morgue, mais c'est pourtant bien toi qui me manque plus que jamais aujourd'hui.
Sans m'en rendre compte, j'installe en fait une distance entre ta mort et moi. Tant qu'elle reste figé sur le papier, tant qu'elle se prête au jeu de l'interprétation, tant qu'elle est mesurable, comparable, elle n'est pas tout à fait à toi, elle n'est pas tout à fait toi.
Il y a cette phrase de Jean-Michel Espitallier qui prend tout son sens aujourd'hui : "En réalité, la puissance sans norme de la catastrophe, et cet état de sidération qui se prolonge depuis cette funeste nuit, infusent dans les parties les plus fragiles et les plus exposés de mon cerveau un anesthésiant presque euphorisant."
Ta mort a déséquilibré ma vie, elle régit désormais ce qu'il reste d'elle.
Elle invente un nouveau rapport au monde, un nouveau rapport aux autres. Un rapport complétement paradoxal, plus tolérant et à la fois plus exigeant. Il y a des choses que l'on passe, des choses dont désormais on se fout, mais il y a cette vigilance qui se loge au creux de nos reins, à l'affût du moindre mot, de la moindre action que l'on ne pourra pas enterrer avec elle. On se retrouve à guetter, épier, décortiquer les moindres gestes, les moindres actions, les moindres mots qui sortent de la bouche de notre entourage. Notre entourage qui devient d'ailleurs cette masse informe, ce tout sans elle, cet amas de ceux qui restent alors qu'elle n'est déjà plus.
On évalue chaque rapport aux autres sous le seuil de leur tristesse, est-elle assez digne ? est-elle assez grande ? est-elle à la mesure de mon attente ? Se rendent-ils vraiment compte eux aussi, qu'elle n'est plus là et ce que ça représente pour le monde entier. Cette lumière de vie qui s'éteint, cette joie qui n'est plus, cet avenir au passé.
Alors méticuleusement on garde dans un coin de notre tête tout ce qui n'aurait pas du être dit, toutes ses maladresses qu'on est plus capable d'excuser, tous ces gestes et ces paroles qui nous semblent que trop indignes, et parfois avec colère souvent avec un étrange détachement on se défait des gens qui nous entourent.
Car la mort nous arrache aux vivants, on se retrouve bloqué dans des limbes entre la vie et la mort, trop vivant pour partir, trop mort pour rester...
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Les jours sans ailes
Non-FictionLéa c'est un petit coeur qui bat tellement fort pour le monde qui tourne autour d'elle, qu'un jour il s'épuise, s'essouffle et s'arrête. Le monde autour d'elle se trouve alors bien peiné par le vide immense que son départ va engendrer. Tandis que l...