Aujourd'hui ma sœur est morte.Je n'essaie pas de faire du Camus, mais ce sont ces mots là, ces putains de mots abrupts, décharnés, vicieux, qui s'imposent à moi : « Aujourd'hui ma sœur est morte »Ça résonne, ça se répète, ça collisionne mais ça n'a tellement pas de sens. Alors je me le répète encore et encore et comme un premier réflexe j'appelle mes ami.e.s pour leur dire.
Il y aura peut être quelqu'un.e après tout pour me raisonner, me dire que je suis folle, que ça n'a pas de sens, que j'ai tout inventé, que je vais finir par me réveiller...
Hier encore je rentrais de Deauville, j'avais une boule au ventre à l'idée de rentrer, de ré-affronter le quotidien morne parisien, de quitter la mélancolie du bord de mer pour la détresse du métro francilien. Si j'avais su que je vivais mes derniers moments d'insoucianceet que ma petite sœur quant à elle vivait ses derniers moments tout court, tout aurait eu une autre portée.Tout désormais se mesure à l'orée du « si ».« Si » j'avais eu l'intuition que quelque chose pouvait arriver« si » j'avais été auprès d'elle« si » elle n'avait pas fait cette maudite rencontre« si » elle n'avait pas ingérer cette substance« si » j'avais pu la sauver« si »j'avais pu entendre ces derniers mots« si » j'avais pu la serrer tout contre moi, son corps encore chaud pour lui dire combien je l'aime« si » j'avais été une sœur à la mesure de son amour« si j'avais été làsi...Mais je n'étais pas là, je n'ai pas passé mes vacances avec elle, mais avec une amie. Et comme dans la vie il faut bien prendre garde de tout compartimenter, de tout segmenter et puis surtout il faut faire attention à la sensibilité et aux besoins de chacun.e et bien j'ai fais un choix, le mauvais choix.J'ai choisi de prendre du temps pour moi, j'ai choisi de ne pas demander à mon amie si on ne pouvait pas se faire des vacances à trois parce que je savais qu'elle serait sceptique, parce que je savais qu'il fallait que je me coupe en un million de parcelles pour corroborer à l'image que chacun.e avait de moi. J'ai choisie l'amie à ma sœur. Plus triste et écœurant encore je me suis dit que je lui avais suffisamment consacré de temps à elle, qu'il était temps désormais de penser à moi, de préserver mes amitiés, mon couple, ma vie sociale.
Et comme une claque dans la gueule, maintenant qu'elle n'est plus là, je n'ai jamais été aussi seule.En même temps je ne peux pas dire que je ne la mérite pas cette exclusion, cette mise à l'écart. Au moment où elle avait besoin de moi, de ma présence, de mon amour, je n'ai pas été foutu d'être là, j'en suis désormais rendue à être une paria.
Je suis une paria de ma propre existence, je me suis condamnée tout seule à une absurde errance. La seule que je suis parvenue à garder tout près de moi, c'est ma putain de culpabilité. Elle s'est fait un trou immense, sans que je m'en aperçoive elle a pris le contrôle de mon être tout en entier, c'est désormais elle qui me régit, c'est elle qui vous écrit d'ailleurs.
Au matin du 9 mars, elle n'était pas encore là. J'avais dans le ventre, l'habituelle appréhension de la rentrée, dans la tête l'ambition de tout bien préparer, et dans les tripes l'envie de profiter de cette dernière journée de vacances. Alors j'ai trainé, j'ai lu tout un tas d'articles sur cette fameuse « journée des droits de la femme », bien au chaud dans mon lit, j'ai projeté l'idée d'aller faire le marché et puis je me suis dit que j'appellerai ensuite ma petite sœur pour préparer notre journée Disney du lendemain, mais là il était trop tôt, il fallait que je la laisse de reposer.Rien ne pouvait laisser présager que son corps était déjà à cet instant dans les tiroirs froids d'un hôpital. Elle était dans mon imaginaire bien au chaud dans son lit, dans son repère de licornes et de conneries.
Puis cela advint.Comme un coup de poignard qui s'amuserait à faire rebondir sur sa lame chacun de mes organes, j'ai reçu ce sinistre appel qui m'annonçait sans préavis qu'il me fallait venir vite, que ma sœur était morte. Du numéro de téléphone de ma mère, d'une voix étrangère, on venait de prononcer ces mots qui n'avaient aucun sens : « Venez vite, votre sœur est morte. »
9 mars 2019.
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Les jours sans ailes
No FicciónLéa c'est un petit coeur qui bat tellement fort pour le monde qui tourne autour d'elle, qu'un jour il s'épuise, s'essouffle et s'arrête. Le monde autour d'elle se trouve alors bien peiné par le vide immense que son départ va engendrer. Tandis que l...