Chapitre 5 - Camping

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Vendredi → Premier jour de weekend


Si vous croyez que la préparation pour le weekend s'est résumée à faire nos sacs et rassembler nos affaires - jeux, bonbons, chips, sacs de couchage, couvertures, etc. -, vous vous gourrez complètement.

En vérité, on a dû jongler avec les préparations, les coups de fil aux différents endroits pour expliquer la raison des absences au lycée et au boulot, sans parler de la naissance des louveteaux de Minuit et de tout le reste.

Normalement, les louves accouchent de façon naturelle, seules, dans la tanière réservée aux louveteaux. Seulement, Minuit s'est retrouvée avec, comme qui dirait, un gros problème. Elle grattait le sol, elle tournait en rond, elle haletait. Le travail avait commencé, toute la meute le savait. Seul problème ; elle n'avait aucune contraction. Chef a envoyé Éclipse me chercher à la maison, à pas moins de deux heures du matin, en jappant et hurlant, grattant devant la porte comme s'il allait la dévorer. Il a réveillé toute la maisonnée, alors Sébastian, Morgan et moi, on est parti au petit paradis de toute urgence. Papa et Jake, eux, sont partis chercher Deaton. Quand ils nous ont rejoins, nous avions réussi à aider Minuit un tout petit peu et le premier bébé était venu au monde - mort. Cela n'annonçait franchement rien de bon. Si le premier à sortir était mort, dans quel état serait le tout dernier ? On était morts de peur. Mais heureusement, Deaton a tout de suite su ce qu'il avait à faire. En un rien de temps, il avait réussi à faire sortir les dix-huit autres petits. C'est la plus grosse portée que j'eu jamais vue - le record connu des hommes étant de dix-sept -, mais elle s'est réduite bien rapidement. Deux sont décédés dès leur sortie du ventre - comprenant celui que je n'avais pas réussi à sauver moi-même - et neuf autres sont morts par manque de lait, car Minuit, stressée par les évènements, n'en avait pas suffisamment pour tout le monde et que les petits refusaient ne serait-ce que goutter les biberons qu'on leur donnait.

Pour résumer : ce fut une nuit très, très longue, bourrée d'épreuves, de tristesse et de colère. À la fin, je pensais que nous n'en sauverions aucun, et ce n'était pas faute d'avoir essayé. On les aidait à trouver leurs tétines, on repoussait les plus gros qui tentaient de prendre celles des plus petits, on les écoutait attentivement, on vérifiait leurs poumons... Et puis quand l'un d'eux faisait une crise, qu'il devenait aussi dur que de la pierre tout en poussant un couinement suraigu, on agissait à la vitesse de l'éclair. J'allais pêcher le petit pour le passer à Sébastian, qui commençait un espèce de massage cardiaque improvisé. De l'eau sortait des narines des petits, et Morgan regardait avec horreur le bout de leur museau, bleu, sans vie, terriblement froid. Si Sébastian réussissait à le ramener, il le passait à Deaton et celui-ci utilisait une serviette et son souffle pour aspirer le liquide hors des poumons du bébé. Si Sébastian échouait, il refoulait ses larmes et le tendait à Morgan qui, l'air abattu, prenait le petit dans le creux de sa main et le berçait en chuchotant, comme s'il ne faisait que dormir. Il tentait de nous le cacher, mais nous savions tous que c'était très dur pour lui. Je crois que ça faisait une chose en trop sur ses épaules, entre ça et sa guerre contre le groupe de Louis pour protéger Nicholas d'un quelconque danger. Quoiqu'il en soit, Sébastian et moi, on le surveillait avec attention, le cœur lourd, en espérant qu'il tiendrait le coup sans être trop marqué.

Les quelques louveteaux qu'on avait réussi à ramener ne s'en tiraient pas aussi facilement, loin de là. À partir du moment où ils revenaient, en notre fort intérieur, nous savions que c'était terminé. Ils refusaient de boire et ne faisaient pratiquement plus rien. On les réchauffait et on les nourrissait goutte par goutte avec nos doigts, mais ce n'était pas évident. Certains ont fait plusieurs crises avant d'aller rejoindre leurs frères et sœurs défunts dans l'au-delà. Sébastian a dû réanimer une femelle trois fois, et la troisième fois, il a dit que si elle en faisait une autre, ils devaient la laisser partir. Personne n'y avait trouvé rien à redire, car Deaton avait beau retirer du liquide, on continuait de l'entendre suffoquer, se noyant de l'intérieur avec le liquide dans ses poumons. À cet instant, Morgan avait eu besoin de sortir pour prendre l'air, et s'il avait espéré qu'on ne l'entendrait pas pleurer, il s'était trompé.

Torn Soulmates {Tome 1} - Little ParadiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant