Chapitre 25 : Billie

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J'ai d'abord entendu un ronflement, comme un moteur.

Ensuite, j'ai vu un flash lumineux.

Et puis le noir.

Un grand fracas, de l'agitation.

Un sifflement constant, une douleur intense.

Tout s'est arrêté. Tout est figé, anéanti. Je ne ressens plus rien. Je ne ressens plus aucune douleur, je ne ressens plus aucune souffrance. Je n'imagine plus ton visage, je ne sens plus tes caresses. Tout m'est désormais étranger. La nuit m'étreint, la mort m'embrasse. Je m'envole, des ailes se déploient. A vous de prendre un nouveau départ. Mon voyage sur cette terre se termine, j'ai accompli mon travail.

J'ai pu aimer, être aimée en retour. J'ai pu me dévoiler, vivre intensément, savourer tes lèvres.

J'ai dû souffrir, pleurer, crier, saigner, et maintenant les chaînent se brisent.

Je n'ai pas pu sentir mon corps se faire projeter à dix mètres. Je n'ai pas pu sentir les multiples fractures. Je n'ai pas pu sentir le sang qui s'écoulait de plaies béantes.

Mon corps semble être dans un état pitoyable. Membres disloqués, visage déformé, identité égarée.

Désormais, je ne suis plus personne. Je ne suis qu'un chiffre, une victime, une larme. Un souvenir déjà douloureux.

Mais c'est mieux comme ça, non? A force de briser ceux qui m'entourent, on a fini par me briser. Me briser en un milliard de morceaux, tous éparpillés au coin de cette route. Aux coins du monde. Plus personne ne pourra me réparer, plus personne n'aura à se charger de cette corvée. Désormais, plus rien ne m'appartient. Je m'échappe, je m'enfuis, je vous laisse à vos douleurs. Les miennes sont bien loin maintenant.

Un soir si doux, partir ainsi. Qui en a décidé? Un Dieu invisible, omniscient mais si malveillant? Ou peut-être l'Univers?

Les étoiles me regardent et m'appellent. Je me sens si libre désormais. Si volatile, mon âme s'engourdit. Je dois voler encore plus haut, je dois couper ce fil invisible qui nous lie. Mais personne ne m'a donné de ciseaux.

Tu dois me laisser partir désormais. Je ne suis plus. Plus rien ne me heurtera, plus rien ne m'abimera. Mon corps meurtri reste avec vous, la faucheuse resserre son emprise.

Je ne peux pas me débattre, je ne peux pas lutter.

Je suis née pour mourir, j'ai vécu pour souffrir. La lumière blanche m'aveugle, tout s'efface.

Pour qui pleurez-vous dans le noir?

Je ne suis plus qu'un fantôme, une ombre, enterrée à jamais. Tombe fleurie tous les jours par un cœur blessé, une personnalité violentée. Volonté malsaine qu'est la vôtre, laissez-moi ma liberté. Je ne fais plus partie de ce monde à présent. Je suis partie, et à jamais.

Les souvenirs vous appartiennent, j'ai bien souvent voulu vous quitter. Mais aujourd'hui la hache s'abat, la Mort joue sa dernière carte. Mon nom a été tiré, c'est à moi de payer. J'ai perdu sans même avoir pu jouer. Le paradis, cette utopie, invention mortelle, ça n'est pas pour moi. Ce qui m'attend est sûrement une abysse, un infini si profond et terrifiant, mais fascinant. Un grand couloir blanc, des larmes cristallines, une soleil réconfortant. Plus aucune respiration, plus aucun soupir. Seul un silence apaisant, un vent de liberté, un calme beaucoup trop obscur.

Je sens la nuit m'envelopper de ses bras vigoureux, et un dernier souffle s'échappe. Les yeux rivés vers les étoiles, ils ne s'ouvriront plus jamais. Mutilée jusqu'à l'os, mon cœur vous abandonne. Souvenez-vous de mes mélodies pleurées dans le noir. Souviens-toi de mes doigts jouant dans tes cheveux sous la pluie.

Mon sourire n'existe que sur les photos désormais, ne me retenez pas. Mon frère m'attend, mon ami pleure. Inès se meurt mais je m'envole, je continue ma course. Ne soyez pas tristes, laissez s'exprimer toute votre violence.

Je ne rêverai plus jamais, vous ferez des cauchemars.

Une date de plus à regretter, tant de questions se bousculeront dans vos esprits. Mais tout de suite il n'y a que l'issue qui m'obsède. Je veux courir avant même de savoir marcher. Je nage dans des eaux beaucoup plus limpides que n'importe quel océan. Les profondeurs s'éloignent, les cieux se rapprochent. Tout est derrière moi, tout est si lointain. Si je pouvais crier, j'hurlerai à en perdre la voix.

Si les astres pouvaient parler, il y a bien longtemps qu'ils m'auraient approchée. Je me sens à ma place à leurs côtés, je repose à jamais. Je quitte un monde qui n'est plus mien, qui n'a jamais été mien, et je voyage vers d'autres destinations.

Il n'y a plus rien à faire pour moi maintenant. Une larme semble perler au coin de mon oeil, mais ça n'est qu'un reflet. Si je pouvais pleurer à présent, je rierais. Mes larmes n'ont plus aucune valeur, mon cœur a cessé de fonctionner. Il battra toujours au sein du tien, mais je n'ai plus qu'à dire au revoir.

Des lumières dansent en-dehors de cette bulle. Je vois du bleu et du rouge, les sirènes me font l'effet d'un coup de fouet. Leur mélodie est si violente que la réalité me frappe en plein visage.

Tout est agité en bas, des professionnels s'affairent. Des passants choqués, un conducteur blessé.

Et un corps sans vie gît au sein des lumières colorées qui illuminent la scène. Une adolescente qui aurait eu tant à vivre mais à qui le destin vient de prendre ce qui semble être le plus cher sur cette terre. Plus rien n'est grave désormais, la vie avait tant à offrir.

Le mal est fait, et plus rien ne peut me sauver.

Billlie Eilish... memento mori!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant