Friendzone

Chapitre 4

Quatre jours d 'exclusion. C'était peu comparé à ce que le proviseur avait souhaité au début. Mais Lucas, n'arrivant pas à joindre sa mère, avait appelé son père qui était venu aussitôt. Et il avait défendu les amis de son fils avec assurance. Mettant en cause le manque de tolérance au sein du lycée, inadmissible en 2019. Et, se trouvant con, le proviseur avait révisé sa décision pour Ben et moi.

Lucas était parti avec son père ce soir là et ils avaient pu se parler, enfin.

Il n'était pas furieux que son fils soit gay. Il était terrifié. Parce que son propre coming-out avait été une véritable épreuve... Il avait dû affronter tant de haine. Il ne souhaitait pas ça à son fils. Au moins, cette situation avait permis qu'ils se retrouvent. Alors ça valait le coup.

À la maison l'ambiance était un peu glaciale. Mais l'orage était vite passé. Mon père avait même trouvé le moyen de plaisanter. Je n'étais pas plus fier de moi que mes parents d'avoir cogné Rémi. Mais ils comprenaient les circonstances. Ils aimaient beaucoup Lucas aussi.

Le lundi suivant je glandais tout l'après-midi devant l'ordinateur après une grasse matinée à rallonge. Je textais un peu avec les mecs quand on sonna à la porte. J'allai ouvrir tranquillement pour découvrir Sacha derrière la porte.

- Sa... Salut !

- Salut, je viens te donner les devoirs, annonça-t-elle tout sourire.

- Les devoirs ?

- Ok, c'est bidon comme prétexte, je sais qu'on les reçoit par mail maintenant.

Silence gênant...

- Euh, tu veux entrer ? proposai-je en me félicitant intérieurement d'avoir compris les signaux cette fois.

- Ouais, je veux bien...

Elle entra et observa rapidement les lieux avant de me faire face.

- Je voulais te dire que je suis désolée pour ce que Rémi et Damien ont fait. C'était vraiment nul.

- Au moins ils ont été expulsés eux aussi, on va dire qu'il y a une justice.

- Lucas est vraiment courageux, je l'admire tu sais. Il faut tellement de force pour assumer tout ce qu'on est face au monde.

- Ça n'a pas été facile c'est sûr...

- Tu vas faire quoi des trois prochains jours ? commença-t-elle en s'installant dans le canapé.

J'avais envie de prévenir le monde entier, Sacha était assise dans mon salon !!!

- Euh, je vais être très occupé, je dois finir plusieurs saisons de plusieurs séries. Netflix me met la pression...

- Oh, je vois, je comprends, j'ai du mal à décrocher aussi quand je m'y mets.

Elle souriait, amusée par ma réponse.

- Ah oui, tu regardes beaucoup de séries ?

- Beaucoup trop. Mais en ce moment il fait encore beau alors je me demandais si tu voudrais qu'on aille chercher quelques géo-caches demain ?

- Demain, mais tu ne vas pas en cours ?

- Je vais sécher, par solidarité avec vous, répondit-elle en souriant. Et puis ça me fera du bien de m'éloigner un peu de l'ambiance du lycée.

- D'accord, on pourrait aller du côté du viaduc, je sais qu'il y en a deux sur le sentier...

- On peut pique-niquer si tu veux ? Je m'occupe de tout préparer !

- Ok, euh je passe te chercher à onze heure ?

- Onze heure c'est bien, confirma-t-elle en se levant, prête à partir.

Je la raccompagnai sans savoir si j'étais dans un rêve ou si c'était vraiment en train d'arriver. Elle s'éloignait dans l'allée pendant que je refermais lentement la porte.

Avant de remonter dans ma chambre, j'entendis le téléphone fixe sonner. C'était Ben.

- Hey, ça te dit qu'on fasse un truc demain ?

- Je peux pas demain... dis-je sans pouvoir m'empêcher de sourire.

- Pourquoi, tu fais quoi ?

- Je vais à la chasse au trésor, dis-je en rigolant.

- Quoi, encore ?

- Sacha vient de passer chez moi, elle m'a proposé qu'on aille se promener demain, elle veut préparer un pique-nique...

- T'es sérieux ! Mais tu me caches des trucs ? Tu l'as ensorcelée ou quoi ?

- J'en sais rien, je comprends pas pourquoi elle me parle maintenant...

- C'est les biceps, aucune fille résiste aux biceps !

J'étais dans sa rue à 10h30. La veille je lui avais envoyé un message sur instagram, avec le portable de ma mère, pour confirmer l'heure. Je m'en souvenais, évidemment. Mais je voulais être sûr que je n'avais pas rêvé.

J'attendais plus loin qu'il soit 11h00 pour aller sonner chez elle. J'essayais de me contenir pour ne pas avoir l'air nerveux. Mais, j'étais là depuis tout juste 10 minutes, quand elle sortit me rejoindre. Elle souriait en tenant son gilet fermé sur sa poitrine.

- Tu veux bien entrer au lieu d'attendre comme ça ? Ma voisine te trouve louche, elle vient d'appeler pour dire qu'un délinquant était en train de repérer sa maison pour la cambrioler.

Je regardai vers la fenêtre que m'indiquait Sacha et vis une vieille femme à peine cachée derrière ses rideaux. Je lui fis un signe de la main en même tant que Sacha, amusé.

- Je ne savais pas que j'avais l'air si effrayant...

- J'avoue que tu fais un peu bad-boy avec cette veste, plaisanta Sacha en me faisant signe de la suivre.

En entrant chez elle, je sentis l'odeur d'une quiche en train de refroidir dans la cuisine. Elle avait cuisiné pour notre pique-nique, ça me faisait plaisir, je trouvais l'attention touchante. Elle m'invita à la suivre dans sa chambre en m'expliquant qu'il ne fallait pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller sa grand-mère. Elle venait de s'installer à la maison parce qu'elle ne supportait plus la solitude. Tout se passait à merveille malgré la situation.

- Tu comprends, c'est la mère de mon père. Mais elle s'entend beaucoup mieux avec ma mère, expliquait Sacha en montant l'escalier qui menait à l'étage.

- C'est chouette, dis-je en découvrant sa chambre.

- Oui. Mon père voulait la mettre en maison de retraite...

- Vous êtes trois générations de femmes dans cette maison alors...

- Oui, j'adore ça, les avoir toutes les deux avec moi, souffla-t-elle, songeuse.

Je m'assis sur sa chaise de bureau pendant qu'elle débranchait son portable en train de charger. Elle ramassa des vêtements sur son lit et s'éclipsa pour se changer. Je regardais ses photos accrochées aux murs, ses tickets de cinéma et tous ses autres souvenirs. Je reconnaissais ses amis, sa mère, son père... Puis je tombai sur une photo particulière... C'était nous deux, quand on était enfant, à mon anniversaire. Elle portait un t-shirt tortue ninja et il manquait une dent à son sourire. J'étais touché qu'elle ait accroché cette photo au milieu des autres.

Content de savoir que ces années avaient compté pour elle aussi.