Friendzone

Chapitre 6

Le lendemain, j'avais la crève. Je faisais le mollusque dans mon lit en repensant à la veille. C'était la plus belle journée que j'avais passé de ma vie. Tant pis si la fièvre m'emportait aujourd'hui !

Vers midi, le livreur me déposa enfin mon nouveau téléphone ! Je me dépêchai de le paramétrer avec l'espoir un peu fou qu'elle m'ait envoyé un texto. Je savais qu'elle savait que je n'avais plus de téléphone, mais que voulez-vous... Dans cette réalité parallèle où je vivais depuis qu'elle m'avait adressé la parole, tout était possible non ?

Forcément, je n'avais aucun nouveau message de sa part. Avait-elle seulement mon numéro ?

Je passai le reste de la journée à glander dans ma chambre avec mon chien, jusqu'à l'heure du dîner. Je repensais à notre enfance. C'est vrai qu'on était vraiment inséparables à l'époque. Dès le jour de son emménagement, elle était venue me voir...

Ce jour-là, j'étais accroupi face à un buisson de mon jardin devant la maison. Concentré, je n'avais pas fait attention à l'énorme camion qui était passé dans ma rue et qui s'était garé quelques maisons plus bas.

On a vécu dans la même rue jusqu'au divorce de ses parents. Après, sa mère a acheté une maison plus proche du centre ville. Elle passait toujours par ici pour venir prendre le bus, mais ce n'était pas pareil.

Je déposais soigneusement des escargots au fond d'un bocal pour ne pas les casser, quand elle arriva dans mon dos. Sans la moindre timidité elle avait demandé ce que j'étais en train de faire. J'avais sursauté comme jamais et même poussé un petit cri ridicule... Mes pauvres escargots avait été tout secoués dans mon bocal ! Elle avait ri, gentiment, et elle s'était accroupie à côté de moi.

Je me souviens que je n'avais pas osé parler tout de suite. Je regardais cette fille aux longs cheveux très blonds et aux yeux bleus comme la nuit. D'où sortait-elle ? Je ne l'avais jamais vue avant. Elle portait un t-shirt bleu Pokémon, je me souviens m'être dit qu'elle était habillée comme un garçon... Mais qu'est-ce qu'elle était jolie.

- Je m'appelle Sacha, et toi ?

Je rougissais mais ne répondais pas. J'avais sept ans et mon courage était proportionnel à ma taille.

- Tu sais parler ? s'inquiéta-t-elle en me regardant comme si j'étais cassé.

- Yoan.

- Tu fais quoi ? Je peux t'aider ?

- Je cherche des escargots pour mon terrarium...

- C'est quoi un terrarium ?

Alors je lui avais montré mon grand aquarium dans lequel j'avais mis de la terre et fabriqué une petite cascade avec la pompe à eau. Mon père m'avait aidé mais je ne le précisais pas. La mousse et les plantes survivaient bien. Alors j'avais décidé d'intégrer des escargots pour apporter un peu de vie à ce petit bout de nature en boîte. Sacha s'était passionnée pour la mission et c'est comme ça qu'on était devenu les meilleurs amis du monde...

Elle voulait toujours de moi comme ami. Tant pis si ça me condamnait à errer dans la friendzone. Ce n'était pas si mal après tout... je finirais bien par m'y faire.

Pendant le repas avec ma famille, je restais silencieux et songeur.

Ce que je vivais était vieux comme le monde. Il y avait des amis qui finissaient ensemble tous les jours partout dans le monde. Souvent parce qu'ils se plaisaient sans se le dire, parfois depuis longtemps, comme Ben et Laura. Je savais que mes parents avaient été amis aussi. Et aujourd'hui encore, personne ne faisait rire mon père comme ma mère et inversement.

Si ce n'était qu'une question de patience, je pouvais le faire... Mais si Ben ou mon père avaient attendu, c'est qu'ils avaient senti que quelque chose se passait.

Sacha ne s'intéressait pas à moi, c'était certain. Je n'avais rien vu, aucun signe... Comment elle pourrait, pourquoi ce serait moi et pas un autre ?

J'étais perdu...si bien que ma mère se demanda ce que j'avais.

- Tout va bien Yoan ?

- Ouais, ça va, pourquoi ?

- Parce que ton frère vient de te demander le pain et que tu sembles trop loin de nous pour nous entendre...

- Ah, pardon, dis-je en tendant le pain à Mathias.

- À quoi tu penses fils ? demanda mon père.

- Rien.

- Une fille ? enchaîna ma mère, taquine.

- Ou un garçon, tempéra mon père, au cas où.

- C'est pas une fille, mentis-je, ni un mec papa !

- Tu as le droit de penser à qui tu veux, commença ma mère...

- Comment vous vous êtes rencontrés ? esquivai-je soudain, curieux.

Je réalisais que je ne connaissais pas leur histoire en détail. Je vis tout de suite sur leur visage combien c'était un souvenir heureux.

- Hum, on était dans la même classe, entama ma mère. On est sorti ensemble en terminale et on ne s'est jamais quittés.

- C'est plus compliqué que ça, ajouta mon père en jetant un regard complice à ma mère.

- Ah oui ? s'intéressa Mathias.

- Ok, je sortais avec un garçon quand j'ai connu votre père. Il venait d'emménager dans le coin et était nouveau dans ma classe. Comme la seule place libre en cours de maths était à côté de moi, on s'est mis à discuter. Souvent...

- Très souvent et pas qu'en maths, précisa papa.

- Il me plaisait de plus en plus mais comme j'avais un copain... Bref, les vacances sont arrivées et mon copain est parti en Corse avec sa famille. Mais votre père et moi, on est restés en ville et on s'est vus absolument tous les jours !

- Elle arrêtait pas de dire qu'on était juste amis. Mais je savais qu'elle était la femme de ma vie alors j'ai pris mon mal en patience et j'ai attendu que ça devienne aussi évident pour elle.

- Après la rentrée, mon copain et moi on s'est séparés. Et quelques semaines plus tard on est sorti ensemble. Et maintenant on en est là, conclut-elle en regardant amoureusement son mari.

Je les observais, rêveur. Sans pouvoir m'empêcher de penser que ça n'avait rien à voir avec ce que je vivais, ce que je pouvais vivre... 

- Papa, serais-tu un des rares hommes à avoir réussi à s'échapper de la friendzone ? plaisantai-je.

- Ça arrive bien plus souvent que tu ne le crois, répondit maman en posant sa main sur la mienne. Ton père a été mon meilleur ami avant que je tombe amoureuse de lui. Et il l'est toujours après toutes ces années...