Chapitre 5

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Nous avions mis presque deux heures à monter jusqu'au viaduc parce que les caches étaient difficiles à trouver, mais on avait réussi. Même si pour la deuxième j'avais dû escalader un arbre et que je m'étais ramassé par terre en descendant... Elle avait ri avec moi et pas de moi, c'était au moins ça.

On s'installa au bord de la rivière pour manger. Nous avions pas mal discuté en chemin, surtout à propos de nos séries préférées. On avait à peu près les mêmes. Mais elle avait surtout une passion démesurée pour les trucs flippants, les films d'horreur et tout particulièrement les zombies... J'étais jamais très serein devant ces films mais je mentis pour ne pas rater l'occasion, si jamais elle se présentait, de les regarder avec elle. 

J'adorais cette journée, j'adorais qu'elle ait envie de passer du temps avec moi... J'espérais que c'était la première d'une longue série.

Assis de chaque côté des parts de quiche étalées sur le couvercle de leur tupperware, une question me trottait dans la tête par rapport à ce qu'elle avait dit la veille, quand elle était venue chez moi... J'avais beaucoup hésité, craignant de troubler l'ambiance.


- Pourquoi tu veux fuir l'ambiance du lycée ? demandai-je en posant mes coudes sur mes genoux, la tête tournée vers elle.


En tailleur face à la rivière devant nous, elle jouait avec une brindille, pour ne pas me regarder.


- Tu as dû entendre ce qui se dit sur moi...

- Entendre c'est pas croire.


Cette fois elle me regardait. Et elle souriait. Qu'est-ce que je ne ferais pas pour ce sourire ?


- Je suppose qu'il n'y a pas de hasard si ces rumeurs viennent de ton ex. Il doit l'avoir mauvaise d'avoir perdu une fille comme toi.


Je fuyais son regard à mon tour. Qu'est-ce que je venais de dire ?


- C'est gentil, souffla-t-elle.


Avant j'étais invisible et maintenant j'étais gentil. Pas sûr que ce soit mieux.


- Déjà, pour rétablir la vérité, continua-t-elle, c'est pas lui qui m'a larguée. Non pas que ce soit important... Mais je veux que tu saches que je ne suis pas une pauvre fille délaissée. Je suis tellement mieux sans lui... Pour ce qui est des rumeurs. Tout est faux.


On se regardait, je devinais qu'elle n'avait pas envie d'en dire plus. Mais que cette nuance comptait beaucoup. Elle était partie, pas le contraire.


- Je crois que je vais aller me baigner, lança-t-elle soudain , comme pour relâcher la pression.


L'eau était calme à cet endroit. Ça faisait comme un bassin un peu à l'écart du cours d'eau. L'été, beaucoup de monde venait se baigner ici. Il y avait une corde accrochée à une grosse branche qui permettait de sauter dans l'eau. Mais là, on était en octobre...


- Sérieux ?

- Pas toi ?

- Hum, ouais, si, pourquoi pas... L'eau doit être hyper froide mais ça peut le faire.

- Tu as peur ? me défia-t-elle en me regardant, les yeux pétillants.


J'aurais voulu appuyer sur pause pour en profiter à l'infini.


- Ok, challenge accepté ! dis-je en me levant d'un bond pour descendre vers la rivière.


Je commençai par enlever mon t-shirt, priant pour que les chips consommées avec excès ne lui sautent pas aux yeux, puis je retirai mes chaussures. Elle cria comme pour encourager une équipe de foot en scandant mon nom, les mains de chaque côté de sa bouche.


- Allez Yoan !

- Me mets pas la pression ! la priai-je en me retournant avant d'ouvrir mon jean.

- Tu vas te dégonfler ? demanda-t-elle en se levant à son tour.

- Et toi ? dis-je pour lui retourner son défi.

- Jamais, souffla-t-elle en retirant rapidement son jean et son pull.


Je n'eus même pas le réflexe de la regarder. Je ne voulais pas quitter son regard. Elle me voyait, elle me voyait enfin. À peine déshabillée, elle fonça vers la rivière et se jeta dans l'eau en se mettant en boule. Quand elle remonta à la surface en plaquant ses cheveux en arrière, elle me cria de la rejoindre.


- T'es complètement folle ! répondis-je en m'approchant doucement du bord.


Et j'adorais ça.

J'entrais dans l'eau sans plonger, avançant vers elle avec assurance. L'eau était gelée mais j'en avais rien à faire. Je ne voulais plus rater aucune occasion. On resta dans l'eau un long moment avant de remonter sur la rive pour manger. Le temps avait l'air de se couvrir... J'espérais que ça n'allait pas écourter notre journée.


- Comment ça se fait qu'on se parle plus depuis toutes ces années ? demanda-t-elle soudain en mangeant sa part de quiche.

- Je sais pas trop...

- On était les meilleurs amis à l'école. Et puis quand on est entrés au collège on s'est perdu de vue. Pourquoi ?

- On n'était plus dans la même classe. Et puis tu as rencontré Chloé et les autres...

- C'est dommage. On s'entend bien, ça aurait pu être cool d'être amis en grandissant.


J'aurais pu lui dire que déjà à l'époque je voulais plus que son amitié. Mais j'avais l'impression que je ne devais rien espérer. Je pouvais seulement prendre ce qu'elle me donnait et m'en contenter. C'était une fille vraiment cool, si elle me voulait comme ami alors je serai son ami.


- C'est pas trop tard, dis-je en basculant vers elle pour lui donner un coup d'épaule gentiment.


Elle fit pareil en me souriant.

Et puis comme je l'avais redouté, la pluie nous chassa. Nous courions, comme les enfants que nous étions il n'y a pas si longtemps, en descendant le sentier. On riait fort en arrivant au scooter. Là elle se tourna vers moi, essuyant son visage dans son pull détrempé. J'étais pas mieux, mes cheveux dégoulinaient.


- On aurait dû rester là haut, on était déjà mouillés de toute façon !

- C'est toi qui t'occupera de moi demain quand j'aurai la grippe ! plaisantai-je en lui tendant son casque.


Pour être galant, je lui proposais ma veste en jean restée à l'abri dans le coffre de mon scooter. Elle l'enfila, elle était bien trop grande mais elle lui allait quand-même mieux qu'à moi. Le retour en scooter fut éprouvant. On avait froid et on n'y voyait rien. Mais sentir ses mains autour de ma taille et son corps appuyé contre mon dos... ça valait toutes les tempêtes du monde. Je la déposais chez elle, attendant qu'elle referme sa porte avant de repartir. Elle avait emporté ma veste, je n'avais pas voulu lui réclamer. Il faudrait au moins se revoir une fois pour que je la récupère... 

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