On connaît bien les insultes, les disputes, t'es attiré par le danger, la vengeance
Compte les secondes en fractions, attraction, l'avenir rentre par effraction
Être ensemble, passation, une artiste qui se fait toute seule
Être à sec, s'en remettre...
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10:32 - Studio réservé aujourd'hui pour 14h, c'est bon pour toi ?
Le message de Ken s'affiche sur mon écran de verrouillage mais je range mon téléphone dans ma veste et continue mon chemin. C'est le deuxième qu'il m'envoie depuis ce matin, le deuxième qui reste sans réponse. Pas aujourd'hui. Pas quand j'ai fait semblant d'être malade pour que Sierra aille toute seule en cours et que je puisse sortir du campus en douce quelques heures plus tard. Pourtant, sur le plan physique, tout va bien. Sur tous les plans à vrai dire. Depuis la soirée d'adieu de Janelle, il y a trois semaines, j'ai un rythme de travail impeccable, autant à l'université qu'au Wendy's et qu'en studio. Cinq nouvelles chansons sont dans la boîte, prêtes à intégrer la tracklist de l'album qui se construit doucement mais sûrement.
Mais aujourd'hui est un jour particulier, qui va bien au-delà de ces considérations artistiques, professionnelles et scolaires. Aujourd'hui nous sommes le dix-sept octobre et j'ai passé la nuit à tourner en rond dans mon lit, à sentir une chape de plomb s'abattre sur moi à mesure que le jour se levait. Tout allait bien hier, tout ira bien demain, mais le dix-sept octobre est un jour hors du temps, comme coupé du reste de l'année. J'ai laissé ma carapace derrière moi avant de sortir de ma chambre pour libérer mon assassine le temps d'une journée. Au bout de trois ans à vivre et à apprivoiser cette sinistre date, j'ai compris que garder la face n'en était que plus douloureux et qu'il valait mieux saisir les émotions qui me traversent plutôt que chercher à tout prix à les maîtriser.
Je rabats la capuche de mon sweatshirt sur ma tête en réalisant à quel point mon visage doit traduire tout ce qu'il se passe dans ma tête. Je suis à vif et je ne suis absolument pas en mesure de me battre pour garder la face aujourd'hui. Ni avec Sierra, ni avec Ken, ni avec personne. Aujourd'hui, je suis seule. Seule avec Marius.
11:02 - Fais pas genre, je sais que t'écoutes jamais en cours 👀
Ken se montre insistant mais je ne lui répondrai pas. Il doit probablement s'inquiéter, puisque d'habitude à cette heure-ci, nous nous serions déjà envoyé une dizaine de messages, dont un qui contient toujours une photo de lui encore endormi et un autre avec la paire de baskets que j'ai choisi pour ma journée. Mais rien de tout ça n'est prévu aujourd'hui. J'ai enfilé au hasard un jean et un hoodie pour braver les premiers jours frais du mois d'octobre. Je n'ai pas envie d'être bien habillée, pas envie d'être vue. Je veux seulement être seule, ne voir personne, ne parler à personne. Surtout à Ken, en vérité.
Cette année, l'anniversaire de la mort de Marius a une saveur différente des trois années passées, plus amère que le chagrin, plus douloureuse que la solitude. Cette année, la honte s'est invitée et teinte mes émotions d'une couleur plus sombre, plus laide. Et Ken n'y est pas pour rien. Je tente de ne pas y penser, de laisser ça quelque part dans un coin de mon esprit, parce que je ne veux pas m'y attarder. Je ne déambule pas sans but dans les rues de La Nouvelle-Orléans, et j'aimerais me tenir à ce que j'ai prévu sans que le grec n'intervienne.
