Acte 1 - Une journée presque normale (3)

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Le soir venu, Igor, mon chauffeur de taxi attitré, me dépose chez moi. Il me sourit. Lui et moi nous entendons très bien. Il ne parle pas très bien le français, je pense qu'il est d'origine soviétique.
J'étais contente de rentrer à l'Élysée après cette journée éprouvante : la dispute avec Sophia m'avait profondément bouleversée.
Je ferme la porte de ma chambre, attendant patiemment que mon cuisinier m'apporte mon plateau repas. En effet, la route a été longue et il est plutôt tard, et je n'ai que rarement le droit de dîner dans la salle à manger en compagnie de mes parents, puisqu'ils reçoivent souvent des invités importants pour des soirées auxquelles il m'est interdit d'assister.
En attendant, j'ouvre un livre. Il s'agit d'une biographie de Stéphane Berne, un historien que j'aime particulièrement. Mon père semble très proche de lui, mais c'est peut-être une impression.

J'entends soudainement quelqu'un frapper à la porte.
- Entre, Sébastien, dis-je, persuadée qu'il s'agit de mon cuisinier.
Mais à la place, je vois mon père, vêtu de son costard de tribunal, abordant un air satisfait.
- Laurie, me dit-il, ce soir, je veux que tu ailles manger dans la grande salle avec ta mère et moi.
- Pourquoi daignerais-je vous gratifier de ma présence ? Vous ne me conviez jamais, à moins que vous n'attendiez quelque chose de moi.
- Il le faut. Nous devons te parler d'une affaire d'une importance capitale.
Je soupire, et me résigne à le suivre.

La salle à manger est très spacieuse, c'est un de mes endroits préférés. Un grand lustre illumine toute la pièce. Mon père s'assied en bout de table, suivi de ma mère, Brigitte, qui s'assied à ses côtés. Quant à moi, je me dirige vers l'autre bout de la table, comme j'ai coutume. Je suis le portrait craché de ma mère : tout comme elle, j'ai de magnifiques cheveux blonds, et un sens très aigu des priorités.

Au moment où l'entrée est servie, Brigitte prend la parole :

- Laurie, nous avons quelque chose à t'annoncer. Ton père et moi avons pris une décision te concernant.
- Que se passe-t-il ? Demandé-je, intriguée.
- J'ai conclu un pacte avec le porte-parole des gilets jaunes, commence mon père.
Son ton ne me rassure pas.
- Tu vas l'épouser, poursuit-il.
- Pardon ? Je m'exclame, décontenancée.
Je pense d'abord à une blague, mais mes parents avaient l'air on ne peut plus sérieux, et mon père n'a pas coutume de plaisanter.
- Mais pourquoi ?
- Il le faut : vois-tu, dans la période sombre que nous traversons actuellement, il est nécessaire de sauver la République. Tu dois comprendre que, ces derniers temps, notre pays est en péril. J'ai déjà eu fort à faire avec Notre Dame, j'ai besoin de calmer le peuple.
- Nous devons faire taire ces fichus gilets jaunes, renchérit ma mère.
- Mais je ne le connais même pas ! M'indigné-je, en colère. Vous n'avez pas le droit de me forcer à épouser qui que ce soit !
- Écoute Laurie, si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour la France.
- Je ne comprends pas ! En quoi cela me regarde-t-il?
- Une alliance est fondamentale. Tu n'as pas besoin d'en connaître les détails, mais les négociations entre le peuple et l'état s'avèrent de plus en plus difficiles.
- Vous ne comprenez rien ! Je ne veux plus d'être l'outil de vos manigances présidentielles !
Je lache violement ma fourchette dans mon assiette, éclaboussant la nappe immaculée de velouté d'asperges, et quitte la pièce en claquant la porte, verte de rage.

J'entre dans ma chambre et ferme la porte. Le dégoût et la colère ont laissé place à la tristesse. J'enfouis mon visage plein de larmes dans mon oreiller. Comment mes parents peuvent-ils m'imposer cela ? Jamais je n'épouserais un homme pour leur faire plaisir, encore moins s'il s'agit d'une saleté de gilet jaune !

Mariée de force à un gilet jauneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant