Maoline

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Je le reposte sur ce livre qui devient à partir de maintenant, par souci de clarté et de centralisation (votre humble serviteur n'étant plus très présent sur ce site) le seul sur lequel j'écrirai les rants, les essais et les récits fictifs.
-› Une petite stupidité et la seule fanfiction que j'ai jamais écrite, pour cringer joyeusement. (5/09/18)

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Mao Zedong (毛泽东) était assis à son bureau, réfléchissant à peut-être la réflexion la plus importante de toute sa vie, déjà réfléchie de bout en bout. Son mentor, allié et ami Joseph Staline venait de proposer par secrétaires interposés une rencontre sans précédent, destinée à resserrer les liens entre les deux très rouges nations. URSS et RPC, les deux grandes puissances du monde moderne au futur déjà tout tracé... Ou presque. Un énième accord symbolique permettrait de lier leurs destins à tout jamais. Et c'est bien cela qui faisait peur à l'homme qui était censé n'avoir aucune faiblesse aux yeux de son peuple. Les petits rebelles de Tchang Kaï-Chek, bye bye. La vermine capitaliste, sans intérêt. La mort ou les araignées, passaient encore. Ce qui terrifiait Mao, c'était de se retrouver seul avec Joseph Staline. Le grand, le puissant, le charismatique héritier du communisme. Le patron de la faucille, le boss du marteau, à la moustache luxuriante et au tempérament de feu. Qui lui faisaient souvent perdre tous ses moyens, et plutôt deux fois qu'une. L'avantage était qu'il pouvait jurer en Chinois sans qu'il ne comprenne rien, mais plus les rencontres se multipliaient, plus son trouble devenait apparent. Car il fallait bien le dire, devant Joseph Staline, Mao Zedong redevenait l'ado pataud et mal à l'aise qu'il avait été des années plus tôt.
Et qu'il avait essayé d'oublier en "faisant quelque chose de sa vie" comme le lui répétaient souvent ses parents, par exemple en devenant un chef d'État aussi respecté que craint.
Il hocha la tête, et sa secrétaire quitta silencieusement le bureau.

Joseph Staline (Иосиф Сталин) attendait depuis un quart d'heure déjà l'arrivée de son homologue Chinois. S'il regrettait le manque de ponctualité de celui-ci, il ne lui en tenait pas rigueur. C'était en effet un collaborateur précieux, et s'il trouvait ses tentatives de se rapprocher de son "grand frère" - comme on l'appelait souvent de l'autre côté, chez ces imbéciles de capitalistes - assez futiles, et malgré le fait qu'il avait initialement prévu de s'en servir pour vite le laisser tomber quand son utilité n'aurait plus été évidente, il devait s'avouer que les Chinois étaient un peuple charmant et dans l'ensemble très volontaire, et que leur leader était... d'une agréable compagnie.
Une pluie fine et glaciale commença à tomber. On tendit bien vite un parapluie au-dessus de sa tête, et c'est à ce moment que Mao arriva, entouré d'une bande de dignitaires dont l'utilité lui échappait.
Il portait un grand manteau sombre que des bourrasques de vent froid soulevaient pour révéler un costume traditionnel communiste du meilleur goût. Ses cheveux de jais étaient si bien plaqués sur son crâne que rien ne semblait pouvoir les décoiffer, pas même la tempête d'une révolution. Il s'approcha de lui d'un air déterminé et lui serra la main en faisant craquer ses os. Staline lui rendit sa poigne en plongeant longuement son regard dans celui de son interlocuteur. Ils restèrent quelques instants comme hypnotisés, la terre sembla suspendre sa course... Avant de partir subitement tous deux d'un rire viril, en se dirigeant vers la voiture qui devait les conduire au lieu officiel de leur rencontre à l'Everest écarlate.

La porte se referma derrière eux dans un clic caractéristique qui fleurait bon l'intimité et une sudation mal venue. C'était enfin le moment, ils étaient seuls. Staline avait exigé l'absence de tout secrétaire ou médiateur, et Mao se demandait bien pourquoi. Non pas que ça lui déplaise, mais il sentait ses mains trembler légèrement, d'appréhension ou d'euphorie il ne le savait pas encore.
Staline prit la parole de sa voix douce et grave. Tout à fait le genre de voix qu'on attendrait de la part de cet homme.
«Je vous ai appelé ici pour vous parler du futur. Notre futur.
- Vous envisagez donc de continuer sur cette route commune ?
- Bien sûr, vous êtes un collaborateur précieux et un atout majeur pour notre belle nation.»
Mao se mit à rougir. On ne lui avait jamais rien dit d'aussi beau. Staline- non, Joseph avait besoin de lui. Il sentait enfin qu'il avait réussi. Il était au sommet, et avec lui. Il lui sembla qu'une douce chaleur se répandait dans son corps. Peut-être devait-il enlever son manteau.
«Et en tant que... Précieux collaborateur, j'aimerais vous faire une proposition.»
Staline maudit son manque de vocabulaire - il ne voulait pas se l'avouer, mais il désirait impressionner son interlocuteur, et les compliments n'étaient jamais aussi agréables que lorsqu'ils venaient de lui.
Celui-ci leva un sourcil, dans l'expectative.
«Vous êtes à la tête d'un grand pays, qui n'a plus besoin d'être tenu en laisse. Je veux vous offrir l'indépendance que vous méritez... J'aimerais donc briser quelques accords qui vous brident plus qu'ils ne vous aident désormais.»
Le monde sembla s'écrouler autour de Mao. Il ne voulait donc plus de lui ? Qui était-il pour décider seul de son- du destin d'une nation ? Il baissa la tête, sentant son nez lui piquer.
«Je... Reprit Staline, ce n'est pas une rupture totale des liens qui nous unissent-
- Alors qu'est-ce que ça signifie ? Que vous ne voulez plus de moi ? Je suis devenu un fardeau, c'est ça ?
- Non, pas du tout ! C'est... C'est pour vous faire plaisir ! Vous qui voulez mener votre pays au sommet, je largue les amarres pour vous aider !
- Mais j'ai besoin de vous !
- Pardon ?
- 我愛你, 該死的 !»
Staline se figea, le visage rouge. Mao avala sa salive. Il avait fait une bourde, une grosse bourde. Heureusement qu'il avait parlé en chinois, sinon c'était le goulag assuré, chef ou pas chef. Malgré tout, hurler sur le dirigeant de l'URSS n'était jamais une bonne idée. C'était la fin.

Mais les traits de celui-ci s'adoucirent, et il remarqua que le rouge de ses joues n'était pas dû à la colère.
«我明白, 你知道.»
Les yeux de Mao s'écarquillèrent.
Ils se mirent soudain tous deux à rire doucement, puis plus fort jusqu'à en avoir les larmes aux yeux. Quand ils se furent calmés, Mao porta tendrement sa main à la joue de son kamarade, et chuchota la phrase qu'il avait fini par apprendre par cœur à force de se la répéter : «Я люблю тебя, Джозеф.»
Le baiser qu'ils échangèrent après cela, et tous les autres qui suivirent, n'appartiennent pas aux livres d'histoire.

Et heureusement d'ailleurs.

Le Livre Sacré de l'Unique PoireauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant