Prologue

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Soul s'apprêtait à glisser sa clé dans la serrure quand il soupira. Il tendait l'oreille, à l'affût d'un quelconque bruit que ferait son beau-père. « RAS » pensa-t-il. Il tourna la poignée et fit un pas dans l'entrée. Le jeune homme jeta ses baskets dans un coin, accrocha son blouson au porte-manteau et grimpa quatre à quatre les marches de l'escalier menant à l'étage.

Il s'arrêta quelques instants devant le miroir mural posé dans le couloir. Il considérait alors l'image qu'il offrait de lui-même. Ses longs-cheveux châtains tombant sur ses épaules dissimulaient ses traits fins et ses yeux en amande. Il souleva de ses doigts quelques mèches de cheveux tout en songeant à se débarrasser de sa couleur naturelle.

Il ouvrit une porte qui dévoila sa chambre plongée dans l'obscurité. Des murs tapissés de posters, un plancher poussiéreux recouvert de plusieurs tas de vêtements, des livres empilés mais malheureusement jamais feuilletés. Enfin, trônant parmi ce capharnaüm, telle une évidence, une housse renfermant la raison de vivre du jeune homme : une basse qui fut jadis la propriété de son père.

Soul jeta son sac sur le canapé-lit puis ouvrit la fenêtre qui inonda la pièce de lumière. Il s'accouda au rebord en soupirant. Son téléphone vibra dans sa poche. Il venait de recevoir un message de la part de son ami Alan.
« Tourne la tête »
Il s'exécuta et comprit alors que son ami l'imitait à la fenêtre voisine. Il le salua de la main. Alan fit de même, et lui fit comprendre par la même occasion qu'il souhaitait le rejoindre. Il accepta par un hochement de tête et quitta la fenêtre pour s'affaler sur son canapé.

Quelques instants plus tard, Alan franchit le seuil de la tanière de son ami, ravi.

— Je t'ai pas vu aujourd'hui au lycée.
— Je t'ai manqué ?
— Un peu, ainsi qu'à la prof de français. Conclut Soul, arborant un grand sourire.

Alan, amusé, prit place à côté de lui.

— Tu vois, c'est exactement pour ça que je viens pas en cours le mardi.

Soul saisit sa basse et se mit à jouer quelques accords.

— Tu pourras me passer tes cours ?
— Est-ce que j'ai le choix ?

Le jeune bassiste alluma une cigarette, en proposa une à son ami et entres deux bouffées, il demanda :

— Comment va ta sœur ?
— Depuis qu'elle t'a larguée ? Très bien !
— Elle m'a pas largué tu sais, je l'ai larguée ... C'était une rupture mutuelle.
— C'est pas ce qu'on dit ...

Soul, agacé, écrasa sa cigarette dans un cendrier. Eva avait effectivement rompu, mais il ne tenait pas à ce que tout le monde soit au courant. De plus, il n'était pas vraiment amoureux d'elle, le fait de la connaître depuis aussi longtemps que son frère avait quelque peu précipité les choses. Cependant, plus on lui parlait de sa rupture et plus il regrettait ces quelques mois partagés avec elle.

— Je crois même qu'elle voit quelqu'un d'autre. Ajouta Alan, concerné.
— Tant mieux pour elle.
— Bah non, je sais pas qui c'est ce gars.
— Ça te regarde pas vraiment ?
— Si, c'est ma sœur. Personne n'y touche.
— Pff.

Le jeune homme se leva et enfila une veste en jean. Les réactions démesurées de son ami ne l'amusait plus. Il alluma une énième cigarette et s'adressa à Alan.

— Tu viens ?

Sans demander de plus amples informations, l'intéressé acquiesça et suivit son ami dans les escaliers. Ce dernier se retourna et lui confia, un sourire arrogant sur les lèvres :

— En plus c'est elle qui m'avait chauffé.

Il ne reçut en guise de réponse qu'un coup de pied dans le genou.
Les deux amis marchaient côte à côte en silence. Soul, encore agacé, pianotait sur son téléphone pour faire passer le temps.

— Tu voulais aller où ? Chez le disquaire ?
— Non, je veux acheter de quoi décolorer mes cheveux.

Interloqué, Alan s'interrogea :
— C'est nouveau cette lubie ?

Ils entrèrent dans le premier supermarché qui croisa leur route. L'établissement était pratiquement désert, il y régnait un silence de plomb. Soul se dirigea vers le rayon des cosmétiques pendant qu'Alan le suivait, pensif. Le jeune bassiste se retrouva déboussolé face au large choix que proposaient les étalages.

— Tu trouves ? Dit Alan.
— J'y connais rien, je crois que je vais prendre un des plus chers, ça devrait être gage de qualité.
— Si tu le dis.

Il s'empara d'une des boîtes colorées et se dirigea vers les caisses, Alan sur ses talons. Une seule d'entre elles était encore ouverte, le caissier les salua paresseusement.
Soul était sur le point de le saluer à son tour quand il fut interrompu par deux autres hommes qui venaient de poser deux conséquents packs de bière sur le tapis roulant et ce, sans la moindre délicatesse. Soul leurs jeta un coup d'œil et, surpris, invita Alan à faire de même. Son ami écarquilla les yeux, et il y avait de quoi. Les nouveaux venus semblaient tout droit sortis d'un groupe de punk des années 90. Ces derniers parlaient à un volume si élevé que leurs voix couvraient l'accompagnement musical de la petite supérette.

— Ça fera dix euros et vingt-cinq centimes. Dit le caissier.

Soul reprit ses esprits et bredouilla :

— P-Par carte s'il-vous-plaît.

Tout en sortant sa carte bancaire de son portefeuille, le jeune homme remarqua qu'un des nouveaux arrivants « lisait » la veste à patchs de son ami Alan. Ce dernier, conscient du regard qui pesait sur lui, ne bronchait pas. Distrait, Soul ne composa pas correctement son code :

— Ce n'est pas passé. Remarqua le caissier, sans pour autant modifier son ton monocorde.
—Je vais réessayer.

Les inconnus ne les regardaient plus, Soul en profita pour les observer plus en détails. Ils étaient assez grands mais pas autant que lui (Soul mesurait un bon mètre quatre-vingt-quinze). Ils étaient tous deux couverts de tatouages, des cheveux coiffés en brosse, des yeux clairs et des traits marqués par la fatigue, mais le plus importants : les deux hommes arboraient respectivement un t-shirt des Dead Kennedys et un de Nazareth. Une fois la transaction aboutie, Soul s'empara de son achat et traîna Alan à l'extérieur du magasin sans s'encombrer de formules de politesse.

— Ils étaient si cool ! S'exclama Alan.

Soul ne pouvait qu'être d'accord avec son ami. Leur jeunesse faisait qu'ils se projetaient trop vite. Les deux amis avaient toujours rêvé de fonder un groupe ensemble et voir que d'autres personnes de leur âge semblaient partager leur passion ne faisait qu'alimenter leur ambition. Ils rentrèrent chez eux des rêves plein la tête.

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