Comme vous vous en doutez sûrement, comme dans tous les domaines scientifiques, des controverses et des théories alternatives existent au sein même de la chaussettologie, divisant les experts en différents camps (d'autre part, étant la seule chaussettologue, la chose n'est pas aisée pour moi de me répartir en plusieurs camps : malgré tous mes efforts, mon corps n'arrive pas à atteindre le stade de mitose à échelle humaine, et le clonage humain n'est pas encore assez légal pour pouvoir m'en procurer un peu).
Ainsi, l'hypothèse la plus souvent opposée à celle de la Dimension Démoniaque de Satan, présentée au chapitre précédent, est celle d'une nécessité biologique propre aux chaussettes de devoir se séparer afin de se reproduire (ce qui peut paraître assez contre-intuitif, je vous l'accorde, mais sera très bien démontré par la suite), et qu'ainsi la cause de tous nos malheurs ne sont ni les trous de mites, ni les lave-linges, mais la nature lubrique des chaussettes en elles-mêmes.
En effet, comme nous l'avons vu dans les précédents chapitres, d'une part les chaussettes contrôlent le monde (comment de si petits vêtements auraient-ils pu s'implanter dans des proportions aussi déroutantes dans nos vies ?) et d'autre part, elles ne se reproduisent pas. Du moins, pas de la manière qu'on pourrait le concevoir.
Vous vous demanderez certainement alors : "Mais, ô éminente spécialiste en chaussettologie au génie incontesté et admiré de tous, pouvez-vous me faire un autographe en signant une chaussette ? Et comment les chaussettes s'y prennent-elles pour se reproduire alors qu'elles ne peuvent pas se reproduire ?", chose à laquelle je répondrais "Oui, volontiers, si tu veux tu peux même acheter une statuette à mon effigie, me vouer un culte en allumant des bougies autour d'un pentagramme sur le sol et voter pour moi aux prochaines élections présidentielles ! Et la réponse à ta seconde question est bien simple, je vais y répondre dès que j'aurai fermé les guillemets."En effet, en tant qu'êtres vivants, nous sommes tout naturellement habitués à vivre dans trois dimensions spatiales dans lesquelles nous pouvons nous mouvoir, et une dimension temporelle dans laquelle nous ne le pouvons que dans un sens — en allant du passé vers l'avenir. Cette loi physique est par ailleurs très bien résumée par les fameux dictons populaires "le chemin est tout tracé", "avancer vers l'avant" ou encore "la destinée du destin est destinée à la destinée du destin destiné" (dicton que l'on emploie généralement au cours d'une crise d'épilepsie sévère).
SAUF QUE, comme vous vous en doutez déjà sans doute... les chaussettes dérogent à ce principe enfantin, une fois de plus ! Leur irascible récidivisme à ne pas faire comme tout le monde réside principalement dans le fait que, ne pouvant généralement que peu se mouvoir dans les trois dimensions spatiales ordinaires — sans doute un effet secondaire de leur taux très élevé de procrastynon (se référer au chapitre précédent) — elles ont néanmoins évolutivement acquis la capacité à se déplacer chaussettalement dans le temps (autrement dit, avec beaucoup de chaussettitude).
Et quel rapport avec leur reproduction ? (me demanderont les cuistres qui n'ont pas encore compris où je voulais en venir — ce qui, par ailleurs, est aussi mon cas, rassurez-vous).
Eh bien : simple ! Les chaussettes, n'ayant pas la même conception du temps que nous, elles ne se sentent pas forcément poussées par l'instinct d'assurer une descendance à l'avenir ; en réalité, elles préfèrent bien souvent assurer leur ascendance (ce qui, d'un point de vue pragmatique, s'entend très bien : il est nettement plus rassurant d'être certain de ne pas provenir de nul part, et ainsi de se savoir hors de portée d'un paradoxe temporel potentiellement destructeur, que de placer ses espoirs en les maigres chances de réussite d'une progéniture qui est par principe universellement toujours pire que la génération précédente), et ainsi de redonner au monde un peu de sens en réhabilitant la loi originelle de causalité (qui a fini par être abrogée et simplifiée car trop difficile à respecter pour des êtres incapables de voyager à leur guise dans le temps, comme les humains par exemple) : la fameuse causalité à double sens, qui veut non seulement que les conséquences découlent naturellement de causes logiques, mais aussi que les causes soient induites par leurs propres conséquences (puisqu'après tout, la boucle est toujours plus stable que la ligne, surtout si on doit marcher dessus).
Très bien, mais la reproduction dans tout ça ? J'y viens, j'y viens, bande de pervers !
Les chaussettes, donc, se déplacent dans le temps comme des poissons dans l'eau ou comme des tardigrades dans un réacteur nucléaire — autrement dit, sans aucun problème (on aurait aussi pu dire comme une épidémie dans une population ou comme une théorie du complot sur Internet, mais je crois que vous avez compris l'idée). Et elles créent leur propre ascendance. Simplement, si pour fabriquer une descendance il faut deux ascendants, qu'en est-il pour former une ascendance ? Les lois mathématiques sont unanimes là-dessus : si un plus un font trois, alors deux moins un font souvent quatre — les quatre grands-parents — et davantage si on remonte plus dans le temps. C'est donc par pure logique que les chaussettes doivent se séparer, si elles veulent pouvoir assurer convenablement leur passé.
Bien évidemment, la fameuse théorie de la rétro-reproduction chaussettale a été fermement critiquée par une jeune chaussettologue du début du vingt-et-unième siècle...moi-même... et est encore loin de faire consensus au sein de notre...ma... communauté scientifique, engendrant encore aujourd'hui moult débats sans queue ni tête... enfin si, du coup, avec une tête, une seule... mais pas de queue effectivement...
C'est sur cette note positive et encourageante attestant de ma pleine santé mentale que je vous dis : à la prochaine fois ! (je préfère ne pas me prononcer quant à la date de sortie du chapitre suivant, ce serait sans doute trop vous mentir...)
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La chaussettologie, ou la science des chaussettes
HumorLa chaussettologie - une science révolutionnaire et particulièrement captivante, encore méconnue du grand public - se donne pour mission d'apporter à la Science ce qui lui a toujours manqué : un regard ouvert et objectif sur les chaussettes. _______...