La torture

142 17 19
                                    

Quelques jours s'étaient écoulés depuis mon dernier entretien avec Monsieur DeVil. Et à partir de ce jour où j'avais tenu tête à ses associés en défendant mon précieux croquis, je n'avais pas plus eu de nouvelles à son sujet.

Personne n'était allé se plaindre de mon comportement, du moins en venant s'adresser jusqu'à moi. Je me remettais alors à travailler sans que personne ne vînt m'en tirer.

La rare fois où DeVil était passé dans l'étage, j'avais à peine entendu ses pas se rapprocher dans mon dos, ni senti son regard par-dessus mon épaule. Mon chef ne venait plus me demander dans le bureau de qui que ce soit. On aurait dit qu'ils m'évitaient tous, ou bien qu'ils avaient oublié mon existence. Les choses avaient repris leur cours comme si je revivais mes premiers jours dans la House of DeVil, où je n'étais rien qu'une dessinatrice remplaçante à leurs yeux.

Et bien que cela m'offrît la plus goûteuse des paix, ce calme absolu me faisait de plus en plus paniquer qu'autre chose, m'ayant rendue pleine de remords et me hantant jusque dans mes rêves, où mes paroles de défense résonnaient à présent dans ma tête comme la pire des victoires à endosser.

Finalement, peut-être m'étais-je trop emportée en pensant que cela faisait partie du jeu ? Peut-être n'y en avait-il d'ailleurs jamais eu ? Peut-être avais-je été si troublée de parler à une célébrité que j'en avais développée toute une aventure imaginaire ?

Dans tous les cas, si ce petit jeu était bien réel, DeVil venait de me devancer à nouveau en décidant de ne pas agir immédiatement, ce qui me torturait. Il me laissait me languir de lui, car oui, même si cela n'annonçait généralement rien de bon lorsque l'on était convoqué dans le bureau de son patron, l'envie de revoir sa terrible beauté me déchirait. Si tel en était le prix à payer, j'étais même prête à sentir de nouveau la fumée à l'odeur toxique qui émanait constamment de ses lèvres si parfaites et brûlait mes poumons d'une façon si désagréable.

Parfois, mes oreilles se dressaient telles celles d'un chien, lorsqu'un bruit sourd parcourait les alentours de mon étage, et me donnait l'hallucination d'entendre s'exprimer sa voix grave et suave entre les friselis de son manteau de fourrure.

Et quelques fois, je me surprenais même à imiter les tics de mes collègues, en jetant de maladifs coups d'œil à l'horloge de Big Ben, puis à l'entrée du bâtiment ; mais contrairement à eux, c'était dans l'espoir de revoir son bolide de luxe noir et blanc y stationner.

En résumé, je commençais à devenir folle du diable de la mode, et voulait à tout prix le revoir, bien que de l'autre côté, je redoutais profondément le jour où il finirait par me demander dans son bureau, puisque cela aurait sans aucun doute été pour m'annoncer mon licenciement.

Et malheureusement, ce jour ne tarda plus à arriver :

Alors que je ressortais de ma pause déjeuner et pénétrais à nouveau dans l'ascenseur pour me reconduire à mon étage d'ouvrage, j'entendis des pas claquer contre la moquette du couloir. Et alors que les portes de l'élévateur étaient sur le point de se fermer, une main potelée passa l'étroit espace qu'il restait, afin d'empêcher leur fermeture à la dernière seconde.

Mais l'automatisme du mécanisme n'ayant pas tout de suite reçu l'information, on entendit alors un cri de douleur de l'autre côté, avant que les deux portes de métal ne se rouvrent sur la mine grimaçante d'Horiane, qui plissait les yeux sous les paroles exaspérées de sa sœur Jasmine, qui était penchée sur elle à se taper le front :

« Mais qu'ai-je fait pour mériter une sœur si débile ? se lamentait-elle. Quand est-ce que tu comprendras qu'une machine n'est pas vivante et ne fait pas de quartier pour tes mains, bécasse ? Franchement, pourquoi ça ne m'étonne pas que Monsieur-DeVil-le-chaud-ténébreux me préfère à toi ? »

101 Shades of DeVil (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant