La pression

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Je dû prendre tout le reste de la journée avant de comprendre ce qu'il venait de se produire.

Et voilà. Par une simple réponse, qui n'était pourtant pas celle que je m'apprêtais à sortir au départ, ma vie toute entière venait de commencer à prendre un autre tournant. Seulement, à l'époque, je ne m'en étais pas encore pleinement rendue compte. Tout ce que je savais pour l'instant, c'était que j'avais laissé s'exprimer mon cœur candide au lieu de ma raison, car son demi-sourire en coin, ainsi que son charme envoûtant lorsqu'il était amusé de mes réactions, m'avaient une fois de plus fait perdre le nord. Et puis, après un tel ascenseur émotionnel, je n'avais pas eu d'autre choix que de lui répondre par ce à quoi il s'attendait !

Lorsque je regagnai mon poste, Miranda me regardait avec de tels yeux que je fus obligée de lui raconter toute mon aventure ainsi que ma chance extraordinaire de garder mon emploi.

Elle paraissait extrêmement choquée par mes aisances à m'être défendue devant Monsieur DeVil et ses associés, et me détaillait bouche bée comme si j'étais la dernière des imbéciles, me jugeant de l'intérieur folle de courir des risques auxquels aucun autre employé n'aurait osé faire face. Ce fut de là que je compris la chance inouïe que le ciel m'avait accordée.

En effet, ici à la House of DeVil, les employés étaient assez expérimentés pour pertinemment savoir qu'ils courraient le danger de se faire virer s'ils ouvraient leur bouche pour contredire le patron de l'entreprise. Après tout, cela faisait partie des trois règles à ne pas enfreindre !

Mais moi, j'étais la petite nouvelle qui s'indignait sans réfléchir, et qui ne se rendait pas directement compte des conséquences à payer. J'agissais avec fierté, puis réalisais bien plus tard avec regret ce qui allait m'attendre. Miranda avait raison : j'étais définitivement la dernière des imbéciles ! Mais c'était dans ma nature. J'étais jeune et spontanée, et d'une maladresse aussi physique que mentale, soit le total contraire des gens de cette entreprise (si l'on ne comptait pas Jasmine et Horiane...). Et pourtant, malgré tous mes défauts, C. DeVil avait su ravaler sa cruauté, et m'avait permise de rattraper mes erreurs avec une nouvelle petite mission : celle de redessiner pour lui mon précieux croquis à taches de dalmatiens.

« Eh ben... On dirait bien que Dieu te surveille et te protège de ce diablotin ! » avait fini par lâcher ma collègue, une fois sortie de sa stupeur à la fin de mes explications.

***

Avant que nous ne repartions tous à la fin de la journée, mon chef, le fameux dénommé Stephen, me rendit mon dessin, agrémenté des modifications à coups de crayon du patron. Même démontrées au brouillon, ses demandes de changements étaient précises et soigneusement notées sur les bords de la feuille, chacune reliée au croquis par un trait droit, et rendaient l'image du manteau (que l'on pouvait se faire en l'imaginant modifiée selon les notes) encore plus parfaite.

Ses remarques étaient dignes d'un grand professionnel, passionné par ce qu'il entrevoyait. Et c'était tout particulièrement une des raisons qui m'avaient faite tomber sous son charme, adolescente ; ce qui m'excitai encore plus, à l'idée que cette idole partageât potentiellement une approbation de cette œuvre qui me tenait tant à cœur.

On me donna un délai d'une semaine, jusqu'à dimanche minuit.

En allant me coucher cette nuit-là, je fus étrangement animée d'un enthousiasme sans précédent. En fermant les yeux dans mon lit, je ne faisais que de revoir le visage de mon patron penché sur le mien avec sérieux, avant de s'adoucir pour laisser courir un sourire d'amusement, satisfait que je fusse tombée dans sa plaisanterie, à l'humour certes noir, mais dont il était si fier d'une manière que je trouvais adorable.

101 Shades of DeVil (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant