La convocation

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La porte se referma directement derrière moi, en un claquement qui résonna et me fit sursauter en me retournant vers elle.

Mes mains étaient crispées sur la poignée de ma mallette, mais je savais très bien que si je voulais me défendre jusqu'au bout pour rester dans cette entreprise, je devais affronter mon patron la tête haute. Je ne devais pas autant trembler ni avoir peur. Après tout, cela m'étonnait beaucoup qu'un homme comme lui semasse tant la terreur dans sa propre maison de couture. Il n'avait pourtant pas l'air d'hurler sur les gens et leur bondir dessus comme un lion pour leur arracher la tête lorsqu'il n'était pas satisfait ! ...Si ?

Alors je fis comme mes parents m'avaient toujours dit : avoir une part de respect mais aussi une part d'indifférence face à toute personne supérieure qui m'inspirerait de l'angoisse.

Rappelle-toi bien. Trois règles. Une, toujours l'appeler Monsieur DeVil. Deux, ne jamais lui donner tort. Trois, ne jamais oser le regarder dans les yeux. C'est simple. m'étais-je répétée de tête pour me donner du courage.

Avec l'aide de grandes respirations, je repris mon sang froid et me retournai pour faire face au bureau splendidement vaste et pour l'instant vide du patron.

Le mur en face de moi était uniquement bâti de grandes fenêtres murales, qui donnaient de loin la plus merveilleuse de toutes les vues sur Londres.

Sur les autres murs y étaient accrochés des portraits gigantesques, représentant en noir et blanc des mannequins défiler à la queue leu-leu lors des Fashion Weeks, habillés de fourrures toutes aussi splendides les unes que les autres. À côté, des tableaux d'art moderne, ainsi que de grandes photos encadrées des nombreux shootings de Monsieur DeVil, le représentant entouré de ses éléments singuliers : fourrure (en costume en-dessous ou bien torse nu), bagues, fines chaînes autour du cou, gants en cuir, lunettes noires et parfois une cigarette entre les doigts.

Le bureau n'était pas positionné en face de moi, mais sur le côté, surélevé sur une sorte d'estrade et tourné de façon à ce que le patron soit de dos au mur de droite, orné de ces photos encadrées aux proportions hallucinantes. Et un peu à côté, un petit couloir à moitié caché par un rideau, d'où il faisait certainement venir son assistant pour réclamer un thé ou je ne sais quoi d'autre d'utile.

Dans l'encadrement de ce petit couloir, la silhouette de C. DeVil ne tarda pas, justement, à faire son apparition, allumant un cigarillo au bout de son porte-cigarette noir.

Il en prit ensuite une bouffée en faisant quelques pas, et souffla la fumée en remarquant ma présence. Par correction, je m'avançai doucement vers son bureau.

« Vous m'avez demandée, Monsieur DeVil ? » osai-je d'une voix la plus détendue possible.

Il ne répondit pas tout de suite, profitant de l'instant silencieux pour me dévisager.

Sous son beau manteau de fourrure, il portait une chemise blanche ainsi qu'un gilet de costume noir, dont la pochette laissait dépasser une petite chaîne argentée, qui pendouillait retenue par les extrémités.

Pour une fois, la première d'ailleurs, je pouvais enfin l'admirer de plus près, sans qu'il ne soit caché par de multiples hommes d'affaires qui ne claquaient jamais leur bec.

Il s'avança lentement dans la pièce, ses pas résonnant dans le calme, avant d'entrouvrir la bouche pour s'apprêter à parler.

« Alonso. »

L'homme en question déboula de la même issue et se plia à côté de lui pour le débarrasser de son manteau, dévoilant le corps élancé qui se cachait en-dessous. DeVil glissa ses bras hors des manches puis s'écarta en avant pour s'affaler à son bureau gigantesque, laissant son assistant repartir avec la lourde peau de bête, afin de la ranger soigneusement sur un mannequin. Puis il revint en vitesse et se fondit dans le décor, juste derrière son patron, les mains basses et jointes, le regard sur ses chaussures, les lèvres déjà tremblotantes.

101 Shades of DeVil (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant