Chapitre 4 : La mercerie Haberdeen

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À la vue de leur fille, les deux adultes essayèrent de faire bonne figure.

- Éleanore, nous avons de mauvaises nouvelles à t'annoncer... Tu ferais mieux de t'asseoir. Fit son père en tirant une chaise à côté de lui.

Quelque chose de grave venait d'arriver, elle le voyait bien comme le nez au milieu du visage.

- Que ce passe t-il ? Demanda-t-elle en s'asseyant, le regard inquiet passant de sa mère à son père à la recherche d'indice sur leur visage.

D'un raclement de gorge trahissant un flot d'émotions refoulées, son père essaya d'expliquer la situation tant bien que mal.

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins, au train où vont les choses pour nous, nous n'allons pas pouvoir garder la ferme... Les larmes aux yeux il se força à poursuivre.
La disparition de Thomas n'a pas été sans conséquence pour nous, le travail devient lourd pour moi et je n'ai pas les moyens de payer un garçon de ferme, avec les revenus que la maigre récolte de cette année a procurée...
De plus, cette nuit une sale bête a ravagé le poulailler et toutes les poules sont en lambeaux...

Sa mère prit le relais pour éviter à son père de céder à l'émotion. Aux yeux des gens du village, dans leur union, elle semblait toujours être une femme fragile dû à son corps menue et à son visage fin et sa peau de lait qui contrastait ses cheveux bruns, pourtant c'était une femme de caractère, prête à tout pour le bien de ses proches, même à travailler les champs si besoin était même si l'église voyait cela d'un très mauvais oeil.

- Ce que ton père essaye de te dire, c'est que tu vas devoir trouver du travail en ville, la gérante de la mercerie se portera garante de toi.
Ce n'est pas ce que nous voulions pour toi et j'espère que tu ne vas pas nous trouver égoïste, mais c'est notre dernier recours pour essayer de conserver la ferme.

Bouche bée devant tant de révélations terribles pour le sort de sa famille, la jeune femme n'hésita pas avant de répondre.

- Je comprends, et je ferai tout ce qu'il faudra pour vous aider. Allez-vous vendre des parties du domaine ?

Son père, s'empourpra à cette idée.

- Nous n'en sommes pas encore là, maintenant va donc te préparer, tu dois te rendre au village pour faire connaissance avec la patronne de la mercerie.

Elle se leva, sa mère sur les talons qui l'attira dans la pièce à côté, un air mélancolique sur le visage.

- J'espère que tu comprends... Cela n'est vraiment pas chose facile et ton père, même s'il essaye de le cacher, est profondément atteint par le fait qu'il risque de perdre son héritage. Il a déjà perdu son fils et cela veut déjà dire que son nom va disparaître...

À la pensée de Thomas, les deux femmes eurent les yeux embués.
Éleanor prit la main de sa mère et les serra dans les siennes.

- Maman, je ne vous laisserais pas tomber. Je travaillerai dur et nous pourrons garder notre foyer, je te le promets.

La main de sa mère se posa sur sa joue en signe de remerciement.
La voix de son père se fit entendre en provenance de la cuisine, mettant un terme à ce moment de tendresse.

- Cornélia, il y a une lettre pour toi, tu peux venir s'il te plaît ?

Replaçant une mèche de ses cheveux bouclés derrière son oreille elle lança un petit sourire de bienveillance à sa fille et s'éclipsa.

De retour dans sa chambre, le souvenir de son réveil dans un état pitoyable lui revint subitement.
Les plumes dans les cheveux avait-t-elle un rapport avec l'incident dans le poulailler ? Il faudrait tirer cela au clair mais avant elle devait se rendre à la mercerie.
Elle retira sa chemise de nuit et enfila une robe de laine brune à col en dentelle, la plus jolie qu'elle possédé.
Elle essaya de coiffer sa chevelure flamboyante en un chignon haut pour avoir l'air d'une dame et y piqua un peigne en laiton, représentant une amaryllis.
Elle se regarda longuement dans la petite glace sur sa commode de pin, elle semblait refléter l'image de sa mère. Elle attrapa sa petite sacoche et redescendit.
Ses parents n'étant pas à portée de vue, ils devaient être à la grange se dit-elle.
Elle trouva  une petite bourse en cuir accompagné d'une missive à l'intention de la mercerie.
Elle mit le tout dans son petit sac et se rendit au village.

Arrivée à la petite boutique, son reflet lui parvint dans la vitrine et elle fût alors prise d'une grande angoisse.
Serait-elle assez douée pour être embauché ? Elle ? une simple fille de ferme sans statut social ni expérience ?
Elle se ressaisit, serra les poings en prenant une profonde inspiration et entra dans la mercerie.
L'intérieur sentait différents parfums floraux, dû à la très nombreuse clientèle féminine qui venait commander de nouveaux ensembles à la mode de la capitale ou pour un simple bouton décousu.
Des rouleaux de tissus s'élevaient du sol au petit luminaire de cristal, allant du simple lin à de l'organza de soie.
Eleanor aperçut la patronne derrière le petit comptoir, affairé avec une cliente qu'elle reconnut immédiatement.
Cette femme était vêtue d'une robe de soie verte dit « à la française », une tenue en vogue depuis peu, drapée dans le dos et finissant en une traîne, doté d'un panier et de nombreuses dentelles et ruban qui s'accordent à merveille avec sa coiffure haute et son chapeau.
Il s'agissait de Madame Ulanov, une aristocrate venant de contrée lointaine, future épouse de Duncan Beauxchamps.
Elle ne l'avait vu qu'une fois mais cela suffisait pour se souvenir d'une figure comme celle de cette femme extravagante.
Elle s'approcha du comptoir et attendit, la cliente en finit avec sa commande et tourna les talons et les regards des deux femmes se croisèrent, Éleanor fut alors subjuguée devant la beauté ensorcelante et froide de Madame Urlanov qui semblait lire en elle.
Ses cheveux blonds, sa peau de lait et ses yeux d'un gris perçant aurait suffi à faire succomber n'importe qui sous son emprise.

- Madame. Fit Éleanor en faisant une révérence maladroite.

Regard de haut en bas, pincement de lèvres. Madame Urlanov contourna la jeune femme sans un mot, la laissant abasourdie par tant de condescendance.

- La Urlanov n'est pas une femme de peu d'estime de soi. Rétorqua avec en souriant, la petite dame replette qui dirigeait la mercerie.

- Je vois ça. Je viens pour le poste d'apprentie qui vient de se libérer, vois-ci ma lettre de recommandation et la somme demandée dans l'annonce. 

- Mmh, alors ma première question si je puis me permettre... Sais-tu coudre ma petite ?

Cette question la déstabilisa, elle savait repriser les chaussettes et recoudre un bouton mais c'était à peu près tout.

- Ton silence révélateur me permet de te dire que nous avons du pain sur la planche, j'ai une tenue de travail dans la remise qu'il faudra très certainement ajustée mais ça fera l'affaire. Tu commences demain à l'aube que je puisse commencer à te former, étant donné que tu connais le travail à la ferme je pense que le rythme intense ici ne devrait pas te poser de soucis.
Aller ! Aller ! Ne restes pas planté la comme une potiche, va donc me chercher cette tenue !

Eleanor se dirigea vers la petite remise dans l'arrière-boutique, où étaient entreposées de nombreuses boîtes de toutes tailles, contenant très certainement des étoffes plus exotiques les unes que les autres.
La tenancière des lieux n'avait pas menti au sujet de la tenue à ajuster, cette dernière pouvait contenir deux à trois jeunes filles de sa corpulence.

Le soir tomba sur la petite ville portuaire et après avoir eu droit à de nombreuses séries de réprimandes de sa patronne, et un nettoyage profond de la boutique, Éleanor fut libérée.

- Tu as encore beaucoup à apprendre mais je pense que ça peut le faire.
Bonne soirée a toi ma petite. Dit-elle en tapotant son épaule avec bienveillance.

- Merci, je ferai tout mon possible pour faire honneur à votre établissement, bonne soirée à vous Madame Brooks.

Elle s'engagea dans la petite rue pavée du quartier des commerçants. Elle entendit un miaulement, le chat de l'autre fois l'observé de loin avec attention, il s'approcha et autorisa Éleanor à lui caresser la tête, ce qu'elle fit. Un bruit de bouteille qui tombe sur le pavé attira son attention, elle ne bougea pas pendant un instant et quand elle dirigea son regard vers le chat elle s'aperçut qu'il avait disparu, elle sentait pourtant son pelage sous ses doigts au moment jusqu'à ce qu'elle reporte son regard sur lui. Étrange se dit-elle en se relevant.

Une fois la forêt passé, elle fût surprise de voir qu'aucune lumière ne parvenait de la chaumière familiale.
Elle pressa le pas et ce qu'elle vit lui glaça le sang.
Une immense trace de sang encore frais était tracée au-dessus de la porte d'entrée et cette dernière était à demi ouverte. Le pire scénario passa dans son esprit, rassemblant son courage elle poussa doucement la porte qui grinça fortement.

Le Renard De L'aube Où les histoires vivent. Découvrez maintenant