11. Enivrés

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Sur les remparts, sire Montgomery n'écoutait qu'à demi-mot son compagnon Geoffroy, trop occupé à scruter ailleurs. Il restait là, debout, les bras apuyés sur le muret en pierre, la tête inclinée, et la relevait parfois pour regarder alternativement le marchand anglais et ce qu'il se passait quelques pieds plus bas. En effet, assis sur un banc, Isabelle sa belle-fille est le chevalier Malo de Kentel discutaient  joyeusement. Pour le maître des lieux, ils étaient un tantinet trop proches physiquement et se parlaient de façon un peu trop intime.

Il considérait Isabelle comme sa propre fille, même  si ce n'était pas son sang qui coulait dans les veines de la jeune femme, et il lui était intolérable que ce gougnafier la compromette. Il voulait qu'elle se trouve un bon parti.

Il devint tout rouge lorsque la brune, toute pimpante avec son décolleté un peu trop prononcé, posa la paume de sa main sur la cuisse du chevalier. Il se retint in extremis de sauter pour aller s'intercaler entre les deux drôles*, car même s'il était rageux, il lui restait encore assez de bon sens pour lui éviter ce vol plané fatal.

Son ami marchand s'impatienta et dit à tue-tête :

—Penche-toi un peu plus et tu vas nous faire un beau salto. Mais ne compte pas sur moi pour venir ramasser ta vieille carcasse. Tu pourrais au moins faire semblant de t'intéresser à ce que je te raconte ! Je m'égosille à te dire que cette histoire de contrats de « complant » est une mauvaise idée ! Tu vas perdre des terres , une fois le délai de cinq ans passé. Tu ne prends point les bonnes décisions en ce moment.

Mais le propriétaire du fief n'écouta pas un traître mot,  agaçant au plus au haut point, Geoffroy.

— Mais pourquoi sont-ils si collés ? Tudieu, ils sont en train de coqueter* ! Je jure sur les textes sacrés que si jamais ce chevalier de pacotille remet en cause l'intégrité de ma fille, je l'estrille !

— Tu parles de laquelle ? Sauf sous ton respect, il y en a peut-être une qui a déjà été déflorée par l'autre chevalier, dit le marchand platement.

— Ne parle pas de malheur ! lança Andrew avec emphase . Ludivine m'a assuré que Marie est toujours vierge. Si ce n'était pas le cas, il serait déjà mort ce coquebert*. Nom de Dieu, non contents d'avoir envahi mon château, ils veulent en plus, me prendre mes filles ! C'en est trop !

Le marchand, pour faire la nique* à son compagnon, répondit :

—Toi qui voulais te rapprocher des François*, eh bien visiblement, ce sont tes filles qui s'en chargent, tu devrais te réjouir !

Le seigneur de Blanquefort tourna si vite la tête vers lui qu'il se fit un torticolis et son chaperon drapé* tomba par terre.

—Tu essayes de faire de l'esprit, mon ami ? s'échauffa Andrew. Sache que ...

Il ne put finir sa diatribe car sa fille de sang venait de surgir des escaliers et se dirigeait droit vers eux pour les saluer. Sa robe sinople* dansait au gré des bourrasques du vent, assez violentes sur les hauteurs de la forteresse, tout comme ses cheveux laissés sauvages, qui lui fouettaient le visage.

—Bien le boujour, Père, Geoffroy, s'inclina-t-elle respectieusement.

— Toujours aussi respendissante Marie, répondit Geoffroy galant. Un vrai rayon de soleil qui illumine tout sur son passage. Ça tombe bien, ton pauvre père en a bien besoin.

La jeune anglaise jeta un regard timoré à l'encontre de son père. Elle faisait profil bas depuis son escapade (contrite) avec Louis.

— Tu vas vite comprendre, ma chère. Bien, je dois dire que je suis chanceux de te voir maintenant, je vais pouvoir te faire mes adieux.

En partant dans l'ivresseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant