Je décide d'agir pendant son absence et je me demande pourquoi je n'avais pas exploré ma chambre plus tôt. Ma première victime est mon bureau, j'y apprends que je suis une personne organisée. Un agenda, soigneusement rempli, me renseigne sur mes comptes, mes rendez-vous et mon emploi du temps. Malheureusement il s'arrête brusquement au moins un an avant mon accident. Il ne me renseigne pas sur des choses essentielles, seulement sur des futilités qui ne m'aident pas à savoir le genre de personnes que j'étais. Le bureau est méticuleusement arrangé, d'un côté un pot avec des stylos, quelques crayons et des surligneurs, de l'autre un bloc de post-it. Sur l'étagère, uniquement un livre de danse classique pour les nuls, de l'ironie sans doute. Dans le tiroir des prospectus et une lettre de l'école de danse de l'Opéra de Paris.
« Nous avons l'immense plaisir de vous informer que vous êtes admise au sein de notre école. Vous avez passé les auditions avec succès, toutes nos félicitations. »
Je repose immédiatement la lettre à sa place avec un certain malaise. Je ne ressens pas de tristesse, j'imagine sans mal l'importance qu'avait cette école pour moi mais je n'arrive pas à m'imaginer dans un tel lieu. Je ne me vois pas danseuse mais je sais que j'ai dû être heureuse en ouvrant cette lettre, la première fois. Mon trouble me pousse à me diriger vers un autre endroit. Mon armoire ne m'apporte rien que je ne sache déjà. Le rose, toujours le rose. Je pousse un soupir d'exaspération.
Comme promit Andrew revient rapidement à la maison et vient me retrouver directement.
- Je peux savoir ce qui est arrivé à ta chambre ?
- Je refais ma déco, tenté-je d'expliquer avec un faux sourire, comment c'était ?
- Très calme, tu aurais pu venir il n'y avait que Lucie et le bébé, ils vont très bien mais elle est assez fatiguée. Si je peux me permettre, je pensais que tu étais une personne un peu plus organisé.
- Sans commentaire.
- Sans commentaire, répète-t-il tout bas en retournant dans sa chambre.
Aussitôt je m'en veux de lui faire perdre sa bonne humeur. Je suis juste frustrée de ne rien avoir trouvé d'intéressant. Je décide tout de même de continuer mais la suite de mes recherches se trouve infructueuse. Je ne trouve que des poussières sous mon lit et ma chambre ne comporte pas d'autres meubles susceptibles de m'aider.
Résignée, je frappe quatre petits coups sur le mur adjacent à celui d'Andrew. Un signal qu'il m'a appris lui-même récemment mais que nous avions créé ensemble lorsque nous étions enfant. Il signifie que je veux qu'il vienne dans ma chambre, que j'ai besoin de lui. Peu de temps après il arrive avec un petit sourire et me rejoint sur mon lit. Nous regardons tout deux le plafond sans dire un mot puis je finis par briser le silence.
- J'ai lamentablement échoué à trouver des indices sur mon ancienne moi, avoué-je. Je n'ai pas de journal intime, mon téléphone a été détruit pendant l'accident, je n'ai rien trouvé dans ma chambre. Quel genre de fille peut être aussi ennuyeuse ? J'ai l'impression de ne pas avoir eu de vie. Et que ma seule préoccupation est le rose.
- Pourquoi cherches-tu à connaître ton passé à ce point ?
Je tourne ma tête vers lui, interloquée qu'il puisse faire une telle réponse. Il ignore ce que c'est de ne pas savoir, de ne pas avoir de repères.
- Parce que mon passé dicte mon présent, si je veux savoir celle que je suis aujourd'hui, j'ai besoin de savoir celle que j'étais.
- Alors demande moi. On a fait toute notre vie ensemble, tout ce qui t'a fait m'a fait également.
- Je ne sais pas par où commencer.
Je pousse un soupir de frustration. Un long silence passe sans qu'aucun de nous deux n'osent bouger.
- Ta couleur préférée est le rose, tu raffoles des pâtes à la carbonara, tu es douée en espagnol, tu as une peur bleue des chiens, tu ne supportes pas les films d'horreurs, tu pleures devant les films tristes, tu danses magnifiquement bien, tu détestes les épinards.
Sa voix se brise, des larmes coulent le long de ses joues.
- Tu adores fredonner en travaillant, tu as porté un appareil dentaire pendant quatre ans, tu aimes les dauphins et tu as déjà nagé avec, tu veux toujours faire le plus grand château de sable, tu as marché en première, tu n'es vraiment pas douée pour l'anglais, tu es plus jeune de 14 minutes. Tu ... Tu...
Nos regards se croisent
- Tu es toujours joyeuse le mardi, tu organises tout du début à la fin, tu essaies de tout contrôler, tu n'arrives pas à faire de bulle avec les chewing-gums. Tu ne sais pas plonger à la piscine, tu dois toujours te boucher le nez pour sauter dans l'eau, tu sais jouer de la guitare, tu aimes regarder les étoiles, tu peux devenir extrêmement jalouse, tu bois des milkshakes à la framboise, tu es la meilleure sœur qu'on puisse rêver d'avoir. Je pourrai continuer comme ça pendant des heures, je sais tout de toi et tu savais tout de moi, avant tout ça.
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Mon trou de mémoire
RomanceIl y a des choses qu'on n'oublie pas, des choses qui restent gravées dans nos mémoires. Des souvenirs qui restent intacts grâce à une photo, grâce aux personnes qui les partagent. La première dent qui tombe, un anniversaire particulièrement festif...